Nous sommes en 1974. A Wolfsburg, un jeune styliste du nom de Giorgietto Giugiaro contemple le fruit de son travail, une compacte aux formes cubiques, à Sant’Agata Bolognese, le V12 de la nouvelle LP400 développe 375 ch et en France, les usines d’Aulnay-sous-Bois débutent la production d’une berline munie de suspensions hydrauliques. Autant de voitures, autant d’histoires. Mais pourtant, s’il y a beaucoup à raconter sur ces trois autos nouvellement produites, ce n’est ni l’histoire de la Volkswagen Golf I, ni celle de la Lamborghini Countach, ni même celle de la Citroën CX que nous allons vous faire lire, mais bien celle d’une voiture bien plus rare puisque unique. Récit.
En 1974, la firme de Zuffenhausen reçoit un bon de commande pour le moins atypique. Nul doute que s’il avait été signé par un citoyen lambda, il aurait terminé sa vie au fond d’un incinérateur à papier. Mais voilà, le bon d’achat émane d’une „pointure“, en l’occurrence Herbert von Karajan, amateur invétéré des productions de Zuffenhausen (il aurait possédé une 356 Speedster, une 550 A Spyder, deux 959 et plusieurs 911) et chef d’orchestre autrichien dont la renommée a depuis longtemps dépassé les frontières de son pays.
Du coup, pas question pour Porsche de refuser la commande. c’est d’ailleurs le PDG du moment, Ernst Fuhrmann lui-même, qui traite cette demande un peu particulière. Mais justement quelle est-elle? Eh bien, à l’époque, Herbert von Karajan demande à Zuffenhausen de lui assembler une 930 (une 911 turbo) dont la masse ne dépasse pas la tonne et dont le rapport poids-puissance se doit d’être inférieur à 4 kg/ch. Pas une sinécure: pour mémoire, la version standard de la 930 pèse 1140 kilos et développe 260 ch (4,38 kg/ch).
Qu’à cela ne tienne, Ernst Fuhrmann et ses ingénieurs ne mettent pas longtemps à trouver la solution: sur le châssis course d’une 911 RSR, ils montent la carrosserie d’une Carrera RS. A l’intérieur, l’habitacle a été rigoureusement dépouillé: la banquette arrière a été remplacée au profit d’un arceau en acier, tandis que radio et autres haut-parleurs ont été retirés pour mieux laisser chanter le moteur, en l’occurrence un 6-cylindres à plat issu d’une 930 mais dont la puissance a été revue à la hausse (d’environ 100 ch) grâce à un turbocompresseur plus gros et un arbre à cames plus pointu. La 911 von Karajan était née.
Encore que, il reste encore à lui trouver une livrée digne de ce nom. Pour cela, Porsche demande à Rossi, le producteur de vermouth, la permission de répliquer la peinture Martini Racing de la 911 Carrera RSR Turbo 2.1 qui a terminé deuxième aux 24 Heures du Mans en 1974…
La voiture, von Karajan la gardera 6 ans puisqu’en 1980, il la revend alors qu’elle n’affiche que trois mille kilomètres au compteur. Un temps relativement court mais qui suffit à donner à la légendaire Porsche sa valeur actuelle estimée à plus de trois millions d’euros. Aujourd’hui, la voiture en est déjà à son sixième propriétaire, un homme qui l’a acheté en 2004 et qui „l’a ajouté à sa collection secrète en Suisse“ selon Porsche, qui conserve le silence sur le nom dudit collectionneur. La voiture étant immatriculée dans le canton de Vaud, peut-être aurons-nous la chance de la croiser un jour, qui sait?