Adulé par les uns, détesté par les autres, le Porsche Cayenne n’a laissé personne indifférent depuis ses débuts, en 2002. Certains décelent dans son compromis entre confort, performance, place, praticité et prestige, une sorte de quadrature du cercle. D’autres, en revanche, y voient un objet hérétique, profanant, à cause de son poids et sa taille pachydermiques, les chrismes de la sportivité. Le prestigieux blason, ainsi souillé, prédisaient certains, ne s’en remettrait pas. Quinze ans et deux générations de Cayenne plus tard, Porsche et le fameux SUV sont toujours là, et bien là. La marque de Zuffenhausen, qui a écoulé 770 000 Cayenne depuis 2002, ne s’est jamais aussi bien portée et s’apprête à remettre le couvert une troisième fois.
«Une voiture de sport parmi les SUV»
Porsche a cherché, selon ses termes, à faire de la mouture 2017 «une voiture de sport parmi les SUV». Traduction, plus de chevaux oui, mais aussi quelques kilogrammes en moins: 65 kg ont été gagnés sur le Cayenne S (2020 kg), mais seuls petits 10 kg ont été rabotés sur la Turbo (2175 kg). En réalité, les différentes mesures de réduction du poids – nouvelle batterie (-10 kg), nombreux panneaux de carrosserie en aluminium et structure alu-acier – auraient permis d’épargner 135 kg, mais l’arrivée de nouveaux équipements a pratiquement annulé cet avantage. Citons les amortisseurs pneumatiques adaptatifs à trois chambres, les roues arrière directrices, une barre antiroulis commandée électriquement (48V) et un spoiler de toit actif. Celui-ci s’élève de 20, 40 ou 60 mm pour augmenter la déportance, et de 80 mm pour servir d’aérofrein, lorsqu’un freinage d’urgence est détecté entre 170 km/h et 270 km/h. Porsche promet une distance d’arrêt raccourcie de deux mètres sur un freinage à partir de 270 km/h. Pas énorme, mais chaque centimètre peut être de trop, quand on a besoin de s’arrêter à tout prix.
Le Cayenne bénéficierait aussi dans ce domaine de l’arrivée des disques de freins au revêtement en carbure de tungstène. Porsche certifie une réactivité en hausse, grâce aux valeurs de friction plus élevées, une résistance à l’échauffement meilleure et une durée de vie du disque augmentée jusqu’à 30%. Et ce n’est pas tout, leur aspect plus blanc est censé les rendre plus cools. A vous d’en juger!
Plus élancé, mais…
Au chapitre visuel, pour restituer le credo de «voiture sportive parmi les SUV», Zuffenhausen a aiguisé davantage la silhouette de son vaisseau-amiral. La ligne de toit a ainsi été abaissée de 9 mm et l’ensemble a été allongé de 63 mm. Les jantes, montant des pneus plus larges à l’arrière, gagnent un pouce (21’’), tandis que les surfaces vitrées s’étendent. Pas mal, mais le Cayenne reste un Cayenne, soit un objet imposant, d’autant plus que la largeur de l’auto a crû de 23 mm. Les designers ont pris plaisir à souligner la largeur en forçant sur les lignes horizontales; nous pensons à la calandre ou au fameux bandeau lumineux à l’arrière, qui fait la jonction entre les deux feux. Ce splendide trait de design, hérité de la Panamera, est d’ailleurs l’élément le plus distinctif de cette troisième génération de Cayenne car, entre nous soit dit, l’ensemble évoque furieusement la précédente itération du mastodonte. Il faudra l’œil sacrément averti du plus féru des Porschistes pour distinguer la «nouvelle» face avant, qui intègre des phares à LED de série (une version adaptative à 84 diodes est disponible en option). Dommage.
Intérieur superlatif
Passée la non-surprise du contact visuel avec l’extérieur, nous passons le seuil de porte. Là, il faut saluer le superbe travail fourni par Porsche. Les surfaces, les volumes et les lignes s’embrassent harmonieusement, l’élégance sort grande gagnante de ces étendues sobres et épurées. Les designers ont par exemple remplacé le cataclysme de boutons sur le tunnel central par une surface «piano noir», qui rime avec «traces de doigts, quel désespoir». Si les commandes tactiles gardent un retour capacitif à leur activation, il n’empêche: nous considérons un tel système, qui nécessite de dévoyer le regard de la route, inadapté à la conduite, quand il est employé dans ces proportions. L’ergonomie demande à ce titre plus d’habitude, mais elle demeure dans l’ensemble assez bien structurée.
Côté finition et matériaux, nous ne pouvons même pas reprendre le couplet «bons matériaux sur la partie haute de la planche de bord, mauvais sur la partie basse» que nous entonnons pour presque chaque auto sur le marché. En effet, Porsche a soigné quasiment tous les recoins de son habitacle: les surfaces, tantôt en cuir, tantôt lisses ou moussées, présentent un grain agréable au toucher. L’assemblage des différentes parties est du même niveau, soit excellent, le Cayenne fait honneur à son rôle de porte-étendard de la marque. L’habitabilité est toujours aussi généreuse, à l’avant comme à l’arrière; le coffre n’est pas en reste, puisqu’il gagne 100 litres de volume de chargement, à 770 l (745 sur le Turbo).
Agilité étourdissante
Toutes les morphologies trouveront position de conduite à leur corps; celle-ci demeure agréablement sportive, dans les limites imposées par le genre de véhicule. Nous sommes prêts à sortir le V8 biturbo, premier des deux moteurs que nous essayerons, de son sommeil. Le propulseur de 4 l a lui aussi bien évolué, puisqu’il développe 30 ch de plus (550 ch au total) et 20 Nm se sont ajoutés au 750 Nm de jadis. Il s’ébroue avec un renâclement sourd de l’échappement, annonçant le menu. Dès qu’il a des virages à se mettre sous les roues, le Cayenne ne déçoit pas, loin de là. Si le comparer à une vraie voiture de sport est incongru, le mastodonte parvient néanmoins à faire oublier ses dimensions cyclopéennes de façon renversante. Le Cayenne se jette dans les virages avec une aisance insoupçonnée grâce à une direction très réactive et précise. Le retour en information est satisfaisant, mais pourrait être encore plus généreux.
Les mouvements de caisse sont aussi fort bien jugulés par l’amortissement, qui brille également par un filtrage de premier ordre, même dans la modalité la plus ferme. Les barres antiroulis actives apportent aussi leur contribution, en contenant très efficacement les dodelinements en courbe. Le freinage, puissant, efficace et constant, ne sera jamais débordé par les événements, tandis que la pédale fournit un très bon ressenti. Certes, le poids, le centre de gravité et la position de conduite élevée, inhiberont toujours les sensations et finiront par rattraper le conducteur pressé. Toutefois, dans la catégorie des SUV, le Cayenne n’a aujourd’hui pas de vrai rival. La façon dont Porsche parvient à composer avec les limites de ce genre de véhicules et à produire un comportement aussi équilibré force le respect.
Deux tonnes, où ça?
Porsche a même conféré un caractère plutôt joueur à son colosse, qui ne rechigne pas à quelques dérobades de l’arrière, quand on le bouscule. Et il y a bien de quoi le faire, avec 550 ch et 770 Nm sous le pied droit. Le V8 biturbo souffle les 2175 kg de l’engin avec une facilité inouïe; à chaque sollicitation de l’accélérateur, le Cayenne s’emballe avec frénésie vers l’avant. La poussée ne connaît aucune accalmie, peu importe où se situent les aiguilles du compte-tour et du tachymètre; la progression ne mourrait qu’à 286 km/h, selon le constructeur, après avoir anéanti le 0 à 100 km/h en 3,9 s. Volant en main, ces performances paraissent crédibles, surtout dans le mode «Sport Plus», qui met le Cayenne dans une sorte de transe de la performance.
Un V6 plus linéaire
A côté du V8 biturbo, le Cayenne S et son V6 biturbo paraissent presque sages; les 110 ch (440 ch) et 220 Nm (550 Nm) d’écart se ressentent, c’est sûr. Le léger retard du turbo passé, les montées en régime sont effectivement plus linéaires, malgré une démultiplication de la boîte de vitesses 8 rapports plus favorable. Mais de quoi parle-t-on, au juste? Il s’agit tout de même d’un véhicule capable d’expédier le 0 à 100 km/h en 4,9 s et d’atteindre 265 km/h! Le Cayenne S n’a pas la même insatiabilité que le Turbo à prendre de la vitesse, mais il le fera avec une progressivité obsessionnelle et ne jettera l’éponge qu’à l’orée de la zone rouge, à 6600 tr/min. Les changements de vitesse de la nouvelle boîte ZF n’interrompent que légèrement cette marche forcée; en revanche, comme sur le Turbo, les rétrogradages ne peuvent rivaliser en rapidité avec ceux d’une vraie boîte à double embrayage.
Plus léger de 150 kg et au bénéfice de réglages de châssis un peu plus fermes que le Turbo, le Cayenne S est même plus affûté et agile dans les parcours sinueux dont nous abreuve la Crète. Son train avant gagne en mordant et les mouvements de plongée et cabrage sont réduits à leur plus simple expression. Le choix de ceux qui préfèrent un tango de virages plutôt qu’un rock’n’roll sur autoroute, en somme. Le S, le Turbo et le Cayenne «tout court» (V6 turbo, 340 ch, 450 Nm) sont déjà disponibles à la commande, dès 91 500 Fr.