Pirelli: un nom bien connu qui surprend pourtant chaque année à l’occasion de la parution du calendrier commandité par le pneumaticien milanais. Ce sentiment s’est à nouveau vérifié lors de la récente présentation du mythique calendrier devant un parterre d’invités triés sur le volet au Samsung Hall de Dübendorf, dans le canton de Zurich. Né il y a 65 ans, le calendrier photographique fournit un panorama des dernières tendances esthétiques, tendances qui ne sont pas uniquement issues de l’univers érotique. Cette année, c’est le célèbre photographe de mode et portraitiste écossais Albert Watson qui l’a signé. Pour le calendrier, il a immortalisé Gigi Hadid, Laetitia Casta, Julia Garner et Misty Copeland. Il a demandé à ces femmes d’endosser des rôles très différents en les faisant cheminer sur une voie imaginaire du succès dans un contexte d’instants sensuels vécus en rêve. Des rêves qui paraissent d’ailleurs être des étapes importantes sur la voie du succès autant pour Albert Watson que pour Pirelli, ce que nous révèle la devise du calendrier 2019, «Dreaming» (rêverie). Une des photos (en dessous) met en scène la danseuse de ballet Misty Copeland. Pour le calendrier Pirelli, l’Américaine joue le rôle d’une danseuse, encore inconnue, qui rêve de succès à Paris. Représentée vêtue d’un maillot de bain blanc, légèrement transparent, elle laisse à peine deviner ce qu’il dissimule. Et pourtant, ce bout de tissu en laisse suffisamment voir pour titiller notre imagination.
Abandonnée à ses rêves
Misty Copeland est plongée dans l’eau, elle a les yeux fermés. On a le sentiment qu’elle n’a pas conscience d’être observée, qu’elle est totalement abandonnée à ses pensées et à ses rêves. Bras en croix, jambes croisées, la pose de l’artiste traduit également un érotisme moins évident à exprimer. L’image laisse libre cours à la fantaisie de l’observateur, et pas seulement pour les courbes. Même les rêves et les désirs précis de Misty Copeland ne peuvent être que devinés ou fantasmés.
Derrière la façade
Chez Albert Watson, l’ostentation des courbes et de la peau nue fait place à un langage photographique spécifique: le photographe britannique semble moins s’intéresser à la superficialité et aux évidences qu’à la beauté qui se cache sous la surface et qui entre dans la peau. Ce qui vaut également, détail intéressant, pour la première suisse du calendrier à Dübendorf: l’accent était moins mis sur le calendrier lui-même – il brillait par son absence – que sur sa genèse. Des clichés instantanés du making of ont été projetés, donnant un aperçu exclusif des coulisses. On avait presque l’impression que l’objet, le calendrier lui-même, n’était pas l’enjeu. Mais quoi alors? Les sons des sphères de bols chantants qui ont agrémenté l’événement en étaient-ils un indice?
Gigi Hadid en it girl
La seconde photo (en haut) exhale une impression similaire. Dans ce cas également, Albert Watson s’intéresse moins à la représentation évidente des courbes et de la peau nue qu’à la capture d’un instant sensuel. Cette fois, c’est Gigi Hadid qui revêt le rôle d’une riche it girl. On la voit dans une position lascive, étendue sur le canapé. Elle porte un body et, par-dessus, une robe de chambre apparemment en soie. Elle ne semble vouloir plaire à personne. Elle n’est préoccupée que par ses rêves et ses désirs. A l’instar de Misty Copeland, elle ne fixe pas l’appareil photographique. Son regard se perd dans le vide. A l’image de la danseuse américaine, elle paraît plongée dans ses réflexions, avec un regard pensif, voire mélancolique. Ici, également, le spectateur peut laisser libre cours à son imagination, à ses rêves, à ses pensées. Ainsi, le calendrier retrace-t-il les étapes sur la voie du succès de femmes profondément différentes. L’érotisme ne s’affiche pas seulement comme superficiel et évident, mais va plus loin. Le photographe Albert Watson réussit à capter un moment de familiarité, d’intimité et, surtout, à le faire sentir, à le faire vivre par l’observateur. Ardue, cette tâche requiert une forte dose de sensibilité. En même temps, elle montre, à sa manière, que l’érotisme ne doit pas être circonscrit au superficiel. Albert Watson révèle-t-il dès lors ses propres rêves pour Pirelli? Une chose est sûre: avec l’artiste d’Edimbourg, le binôme évidence-superficialité cède sa place aux moins évidents aspects cachés de la beauté.
Text: Petra von Gerr
Image: Pirelli/Albert Watson