Le tuning n’est pas seulement une religion, c’est un modèle d’affaires. Mais seulement si on le fait sérieusement et dans le respect de la législation suisse. Le milieu est confronté à des lois toujours plus sévères. La hausse du coût des transformations incite de plus en plus à la diffusion des pièces illégales. Cela porte préjudice à la réputation du métier et les politiques exigent d’autres mesures. C’est ce que déclarent les membres du Bureau de la fédération du tuning de Suisse et du Liechtenstein, Auto Tuning et Design Verband Schweiz/Lichtenstein (ATVSL). La RA a essayé de démêler cet imbroglio dans une double interview accordée à son président, Eugen Engeler, et à l’un de ses membres, Christoph Schwägli.
Revue Automobile: Comment va le monde du tuning en Suisse?
Christoph Schwägli: Les concentrations se font de plus en plus rares. Les salons du tuning rencontrent les mêmes problèmes que les salons de l’auto classiques. Ainsi, Tuning World Bodensee a beaucoup perdu de son attrait. Les pièces les plus populaires restent les mêmes: jantes, échappements, modifications du châssis et majorations de puissance. Le milieu est bien vivant en Suisse, mais le niveau pose parfois question…
Que voulez-vous dire?
Christoph Schwägli: Lors des concentrations, on découvre en majorité des voitures qui concentrent tout ce qu’il y a d’illégal. Cela n’est pas bon pour la réputation des tuners sérieux.
Eugen Engeler: Le secteur du tuning est un marché âprement disputé. En Suisse, survivre demande énormément d’efforts. Notre pays est petit et nous avons donc peu de clients. Une homologation, par exemple pour une augmentation de la performance avec le nouveau cycle WLTP, coûte bien 20 000 francs. Il faut générer un certain nombre d’unités pour pouvoir travailler de manière rentable. Tout le monde ne peut ou ne veut pas se le permettre. A cela s’ajoute le fait que les constructeurs proposent de plus en plus d’options départ usine et ont découvert les avantages de ce secteur d’activité.
Beaucoup ne jouent donc pas le jeu?
Eugen Engeler: La tentation est grande de vendre des pièces illégales sans expertise. La plupart du temps, le client s’en fiche. Souvent, personne ne s’en aperçoit. Et, si un client déclare qu’il ne roule avec sa voiture que sur circuit, on lui vend de tout.
Christoph Schwägli: Lorsque je suis assis sous la véranda, j’entends toujours les mêmes voitures tourner dans le quartier. Et c’est pour cela que la législation devient plus sévère. En cas de soupçon, la police procède à la première inspection dans notre garage. Je connais un nombre infini d’exemples d’installations de pièces originaires de Chine ou de systèmes d’échappement bricolés à moindre frais. Ce n’est pas comme cela que l’on travaille. En tout cas pas dans un atelier professionnel.
Depuis 2007, tout composant ayant pour seul but d’amplifier le bruit est prohibé sur les nouveaux modèles. La valeur plafond en vigueur est de 72 dB, au maximum de 75 dB pour les voitures de sport performantes. D’ici à 2026, ces valeurs seront ramenées à 68 et 72 dB. On joue beaucoup avec les systèmes d’échappement à clapets, par exemple.
Christoph Schwägli: Les milieux politiques font beaucoup pression sur l’Ofrou (ndlr: l’Office fédéral des routes) pour qu’il agisse contre ce bruit excessif. Aller acheter des croissants avec un échappement à clapet ouvert au petit matin n’est pas ce que nous, les tuners, voulons. Certaines voitures sont homologuées pour la route et n’ont pas le droit de tourner sur circuit, parce qu’elles sont trop bruyantes.
Eugen Engeler: Mais, ce n’est pas notre problème dès lors que tout cela a été contrôlé. En revanche, en tant que tuner, nous sommes obligés de vérifier les pièces, même si nous nous demandons pourquoi elles doivent l’être. D’autant plus que le prix d’une expertise a triplé depuis le passage à la norme WLTP.
Qu’est-ce qui a changé?
Christoph Schwägli: Prenons l’exemple d’une expertise concernant une augmentation de la puissance. Depuis peu, on détermine la catégorie d’appartenance du véhicule. Ce rapport d’expertise sera valable uniquement pour cet échappement, même si le moteur est resté le même au fil des ans. L’expertise ne s’étend hélas pas aux éventuels changements de puissance ou d’émissions polluantes qu’a connu un moteur au cours de sa carrière en raison d’un nouveau boîtier électronique.
Eugen Engeler: Si l’on veut faire homologuer une majoration de puissance, il faut aller au DTC à Vauffelin (BE) ou au FAKT à Sennwald (SG). Ce sont les deux instances d’homologation agréées en Suisse. Avant la méthode WLTP, il était possible de faire homologuer tout un groupe de moteurs. Autrement dit, il n’y avait besoin que d’une seule homologation, même si le moteur était installé dans différentes voitures. Cela n’est désormais plus possible. Si l’on doit présenter chaque voiture pour l’homologation, les coûts vont devenir astronomiques. Nous avons eu une réunion à ce propos à la fin de l’année passée avec des représentants de l’Office fédéral des routes (Ofrou).
La fédération est-elle entendue par les milieux politiques?
Eugen Engeler: Nous avons des réunions annuelles avec l’Ofrou pour parler des nouvelles introductions. Nous pouvons parfois empêcher certaines choses. Nous souhaitons protéger nos membres et ce secteur pour que tout ne devienne pas trop compliqué et onéreux. Nous sommes impliqués dans la procédure de consultation, et écoutés.
Revenons aux majorations de puissance. En ce qui concerne les constructeurs, on tolère une certaine marge (+/– 10%) quant à la puissance effective du moteur. Quelles en sont les répercussions pour le tuner?
Christoph Schwägli: Lorsque nous faisons contrôler une auto pour une majoration de puissance, on part tout d’abord de la valeur effective. On constate alors fréquemment que les autos ne respectent pas la valeur de série, autrement dit qu’elles ne correspondent pas à ce qui est autorisé. Cela vaut surtout pour le niveau sonore et la puissance. Mais, si c’est à nous, les tuners, que cela revient de faire contrôler un produit, la tolérance zéro prévaut. C’est un véritable harcèlement.
Eugen Engeler: L’article de loi est à géométrie variable. Il peut occasionner des problèmes juridiques dès lors qu’une voiture affiche une puissance officielle de 250 ch, mais que l’on en mesure 275, voire un peu plus, au banc d’essai. Contre qui doit-on alors se retourner?
Le problème est donc que, normalement, la puissance n’est pas mesurée lors du passage au contrôle technique?
Christoph Schwägli: : Exactement, c’est pourquoi il est si difficile de détecter le chip-tuning. Si l’on recopie un logiciel modifié sur le boîtier électronique normal par le biais de la prise OBD, aucun contrôle ne le révèle. Le danger est alors qu’il soit écrasé lors d’un passage au garage. Si l’on travaille sérieusement avec un boîtier électronique additionnel, on joue la carte de la sécurité. Le risque est alors que celui-ci soit plus facile à détecter. Raison pour laquelle l’on doit tout contrôler. Il est bien évident que cela n’est pas la première des priorités pour les garagistes peu scrupuleux.
Sur Internet, on se voit proposer d’énormes majorations de puissance par chip-tuning à des prix défiant toute concurrence. Les éléments de carrosserie à bas prix fleurissent aussi de toutes parts. Comment puis-je reconnaître, en tant que client, les pièces qui sont autorisées et celles qui ne le sont pas?
Christoph Schwägli: La vente sur Internet est la plus grande zone grise qui existe. Je ne comprends pas pourquoi nous nous efforçons de régler les pièces au banc d’essai avant de les adapter à la voiture pour ensuite voir les gens continuer de chercher sur Internet des fournisseurs bon marché offrant souvent des pièces de qualité médiocre.
Eugen Engeler: En général, on peut partir du principe – c’est un exemple – que les pièces originaires du Japon pour une voiture japonaise ne sont pas homologuées en Suisse et sont donc illégales dans notre pays, même si l’on vous fait miroiter une autorisation d’exploitation de la CE (ndlr: ECE). Les détails sont écrits en petits caractères, ce qui n’aide pas le profane à comprendre. Une nouvelle loi sur les pièces aérodynamiques est entrée en vigueur en 2006. Toutes doivent réussir le test de l’impact d’une bille d’acier et de protection nécessaire des piétons contre les éclats. Désormais, on ne peut plus, non plus, utiliser les mêmes matériaux bon marché. Conséquence: les importations de pièces en provenance de l’étranger se sont effondrées.
Une autorisation pour des pièces commandées sur Internet est donc quasi exclue?
Christoph Schwägli: Même si les pièces ont passé avec succès tous les tests, il faut une autorisation par type pour la Suisse. Comme elle revient très cher, elle fait plus que relativiser le bas prix sur Internet. C’est après l’achat que les clients s’en rendent compte. Hormis le fait que les pièces sont la plupart du temps de médiocre qualité. J’ai vu beaucoup de jantes en vente sur Internet qui ne présentaient pas la solidité nécessaire et qui se sont cassées à la moindre sollicitation.
Eugen Engeler: Il y a des exceptions. On peut, par exemple, commander en Allemagne des pièces expertisées par le KBA (ndlr: Office fédéral allemand de la circulation). Lors de l’achat, il faut s’assurer que tous les certificats seront remis.
La fédération peut-elle entreprendre des démarches contre de tels distributeurs?
Eugen Engeler: C’est une question qui relève de l’Etat et qui est très difficile à contrôler. Il y a trois ans, la législation a été modifiée afin que seuls des produits homologués puissent être promus et vendus. Auparavant, la règle était qu’une déclaration d’expertise suffisait. Mais, cette nouvelle réglementation ne s’applique qu’aux importateurs suisses. Nous avons les mains liées face aux sociétés étrangères opérant sur Internet.
L’Association des services des automobiles (ASA) a publié le règlement 2a. Les 113 pages du document règlent tout ce qui concerne le tuning.
Eugen Engeler: Nous avons là une bonne base. Il faut aussi préciser qu’en Suisse, par rapport à quelques pays de l’UE, nous avons encore une certaine marge de manœuvre. Mais, il y a des différences cantonales. En Suisse, nous avons 27 centres de contrôle et chacun de ces 27 centres a sa propre opinion. Il existe une liberté d’appréciation des experts du contrôle technique, ce qui est stipulé tel quel dans le règlement. La fédération s’est efforcée d’annuler cela. Ce à quoi les centres de contrôle se sont opposés.
Christoph Schwägli: L’important est de savoir interpréter les directives. Tout le monde est d’un autre avis, raison pour laquelle les résultats d’une homologation ne sont pas toujours les mêmes. Si l’un de nos membres a un problème avec l’homologation, nous nous penchons alors sur ce problème en tant que fédération.
C’est la raison pour laquelle la fédération voulait un label de qualité. Les membres auraient alors pu bénéficier d’une procédure d’homologation simplifiée.
Eugen Engeler: C’était l’idée, mais les autorités n’ont pas donné leur feu vert. La fédération s’investit pour que tout s’effectue dans un cadre légal et que les règles du jeu soient bien respectées. Pour l’essentiel, elles veulent que seules des pièces avec une expertise suisse puissent être montées sur les voitures des clients. Toutes les autres pièces sont source de problèmes, aussi bien pour le client que pour le fabricant.