Les temps sont durs pour l’industrie automobile. Particulièrement touchée, le constructeur français Renault, déjà en difficulté financière avant la crise sanitaire, a annoncé vendredi 29 mai dernier la suppression d’environ 15 000 emplois dans le monde. L’objectif avoué? Faire des économies; plus de 2 milliards d’euros sur trois ans. Pour atteindre un tel chiffre, l’Alliance entend non seulement fermer son site de Choisy-le-Roi, dans le Val-de-Marne (usine spécialisée dans la rénovation des pièces mécaniques des voitures), mais également arrêter la production d’automobiles de son site de Flins, dans les Yvelines. En outre, le Groupe Renault a fait savoir qu’il pourrait également décider de purement et simplement arrêter la production de certains modèles comme les mono-volumes Scenic et Espace ou encore le break/berline Talisman.
Egalement dans le viseur des nouveaux dirigeants de l’entreprise: la petite manufacture de Dieppe, Alpine. Il est vrai qu’au sens strictement comptable, Alpine, qui n’assemble à l’heure actuelle pas plus de sept modèles par jour, ne présente pas vraiment un grand intérêt. En revanche, si l’on se penche sur le côté émotionnel de l’affaire, ce serait une tragédie, tant l’auto suscite enthousiasme, respect et pouces levés sur son passage. Autant de qualités qui confèrent au coupé un statut de véritable véhicule-image pour l’Alliance.
Un sursis de trois ans
Tout cela soulève donc une question: l’entreprise normande est-elle réellement menacée? Pour l’heure, le site de Dieppe a obtenu un sursis, la direction de Renault ayant déclaré, dans un communiqué, ouvrir «une réflexion sur la reconversion de l’usine». Mais, l’entreprise de Boulogne-Billancourt précise bien que celle-ci n’interviendra pas avant la mise à la retraite de l’A110. Autrement dit, s’il y a fort à parier qu’Alpine continuera à exister – probablement sous forme de marque purement électrique, selon les premières rumeurs – ce n’est pas le cas de l’A110, dont la production devrait théoriquement cesser d’ici trois à quatre ans si l’on en croit les premiers bruits de couloir du Technocentre.
Pour autant, cela signifie-t-il la fin de la berlinette? Eh bien, à la rédaction, on aime à croire que cela n’arrivera jamais. Pour la simple et bonne raison que l’A110 est une battante. Des bâtons dans les roues, le coupé sait ce que c’est, il est né avec. Avant même d’avoir été mise au monde, l’A110 avait déjà vécu moult déboires, les premiers projets visant à faire revivre la marque ayant été tués dans l’œuf, faute de promesse de rentabilité. Un premier problème, rapidement balayé d’un revers de main par l’un des deux papas de l’Alpine, Carlos Ghosn. Pour mener à bien son projet, celui-ci avait annoncé en 2012 une coopération avec le britannique Caterham en vue de faire revenir sur la route et sur la piste le fameux label sportif. Mais, face aux difficultés financières rencontrées par la petite firme anglaise, l’accord a été rompu en juin 2014. Un deuxième coup dur pour Alpine. Que Renault surmontera en reprenant seul les charges de l’embryon à naître.
Pères Carlos
A noter que lorsque l’on évoque Renault, on parle en fait du second papa de l’Alpine, Carlos Tavares. Propulsé directeur général délégué aux opérations dès 2011, soit le «numéro 2» du groupe après Carlos Ghosn, Tavares y est pour beaucoup dans la gestation d’Alpine. Grand capitaine d’industrie, monomaniaque de l’automobile, véritable passionné de sport auto (il consacre un week-end sur deux aux courses automobiles), «le petit Carlos» a œuvré sans relâche pour faire de la résurrection de la firme de Dieppe une réalité. Du moins, jusqu’à son «départ» de l’entreprise en août 2013, après s’être déclaré, lors d’une interview accordée au média américain Bloomberg, prêt pour un poste de numéro 1 (ce que l’homme décrochera quelques mois plus tard, lorsqu’il prendra la tête du concurrent, PSA). Des propos qui n’avaient, semble-t-il, pas plu au PDG de Renault, «le grand Carlos», Carlos Ghosn. Un troisième coup dur pour Alpine qui se voyait orpheline suite à une dispute entre ses deux parents.
Heureusement, lorsque viendra l’accouchement, Ghosn s’occupera bien de son enfant. Effectivement, Alpine doit beaucoup au chef d’entreprise. Ne serait-ce que pour sa simple présence lors des événements clés de la naissance de la firme, comme en 2016 lors de la présentation aux journalistes du showcar sur le port de Monaco ou encore lors de l’inauguration de la ligne de production de l’auto à Dieppe, en 2017. Plus important, Alpine doit surtout son existence aux excellentes capacités entrepreneuriales de Ghosn; en 2017 toujours, alors sous la direction du Franco-libano-brésilien, le conglomérat déclare pas moins de 3,3 milliards de francs de bénéfice net. De quoi permettre au petit constructeur de voitures sportives d’aborder l’avenir sereinement. Un moment du moins, puisqu’en novembre 2018, le grand manitou se fait arrêter.
La suite est connue: échec de la fusion avec FCA, effondrement de la valorisation boursière et bien sûr le coronavirus. Une véritable descente aux enfers. Non seulement pour Renault, mais également pour le fleuron normand. D’autant plus que ce dernier doit également composer avec des chiffres de vente toujours moins importants. C’est qu’aujourd’hui, tous les passionnés ont été servis. En outre, il faut bien le dire, le climat autophobe européen n’est pas vraiment propice à l’épanouissement de ce genre de véhicules.
Incroyable coupé
Autant de conditions difficiles, voire intenables, qui n’empêchent cependant pas l’Alpine d’être l’une des plus désirables machines à quatre roues du marché. Ce que nous avons souhaité vous prouver ici, en alignant le coupé face à tous celles et ceux qui souhaitent la voir mourir. Ainsi, dans notre drame à pistons serrés, la Porsche 718 Boxster Spyder tiendra le rôle de la concurrence, la Mégane R.S. Trophy R le rôle des employés de Renault ayant décidé de l’évincer et enfin la montagne, celui des autophobes écologistes. A vos armes!
A110 S vs la montagne: «Il y a du monde qui pousse!»
Si une montagne se dresse aujourd’hui face à notre Alpine, il n’en pas toujours été ainsi. Bien au contraire, le nom Alpine vient même de la proximité de son fondateur avec les cimes enneigées; en 1952, Jean Révélé, le fondateur d’Alpine, remporte les Mille Milles dans sa catégorie au volant d’une 4CV. Deux ans plus tard, en 1954, il remporte, entre autres, une belle position lors du Critérium des Alpes ainsi que le Liège-Rome-Liège. C’est ainsi qu’il réalisa, dans les sinueux et autres routes entrelacées, ses meilleures courses. En référence à toutes ces épreuves, le pilote-concessionnaire décidera d’appeler ses automobiles «Alpine».
Mais qu’en est-il aujourd’hui: comment se comporte l’actuelle A110 face à la montagne? Eh bien, pour répondre à cette question, nous sommes allés en Valais, à la rencontre de l’un des plus talentueux pilotes de course de ces dernières années, Eric Berguerand. Champion suisse de la montagne en titre, le pilote a pris le volant de l’Alpine pour un tour de roues à domicile, dans le col de la Forlcaz, juste au-dessus de son fief, Martigny. Premières impressions: «Sur une vraie voiture de course, tu tournes, et la réaction de la direction est instantanée. Ici, il y a tout de même un certain temps de latence. C’est moins précis, beaucoup plus souple, plus doux. En clair, à allure soutenue, tu dois anticiper les virages, en palliant à la douceur de la direction et de pneus.» Il est clair que lorsque l’on sort d’une monoplace F3000 de 485 ch, l’A110 S irait presque jusqu’à se faire passer pour une 2 CV. Enfin presque: «Quand t’appuies, tu sens qu’il y a du monde qui pousse derrière», concède sans peine Berguerand. Qui continue: «Je pense qu’avec quatre pneus slick en lieu et place des Michelin Pilot Sport, on pourrait retrouver des sensations très proches de celles que l’on vit en course.» Quel meilleur compliment l’Alpine pouvait-elle rêver?
A110 S vs 718 Spyder: l’aspiration au centre des débats
Sur sa route vers les sommets, l’Alpine A110 S croise le chemin de l’une des plus redoutables sportives à moteur central de la place, la Porsche 718 Spyder (lire l’essai RA 18/2020). Dans cette version extrême, la barquette de Zuffenhausen adopte les trains roulants de la référence des circuits, la 911 GT3. Autant dire que la 718 Spyder n’est pas là pour rigoler, et cela se confirme sous le capot: en lieu et place du quatre-cylindres turbo qui équipe les versions d’accès, la Spyder se dote d’un flat-six de 420 ch (420 Nm). C’est 128 de plus que l’Alpine A110 S, qui ne peut pas rivaliser en matière d’allonge, de réactivité – le six-cylindres de l’allemande est atmosphérique – et de sonorité. Même le maniement de la boîte six vitesses manuelle, une petite pièce d’orfèvrerie, évoque des saveurs d’une autre époque. Puis, il y a cette pédale de freins, qui se dose parfaitement, ou cette direction, un modèle de précision. La 718 Spyder boxe décidément dans une autre catégorie que l’Alpine A110 S à tous les niveaux, mais c’est vrai aussi pour le prix. A 123 900 Fr. d’entrée de gamme pour la Porsche, contre 74 800 Fr. pour la Dieppoise, l’écart s’élève à près de 50 000 Fr.! Voilà qui remet l’Alpine A110 S dans la course de ce «comparatif informel». La berlinette française a, en réalité, un autre atout à faire valoir face à sa terrible adversaire: son poids inférieur de 300 kg. En effet, à 1420 kg, la Porsche 718 Spyder n’est pas particulièrement légère, au contraire. A son volant, l’impression est d’être à bord d’une voiture imposante et massive, notamment dans les virages à faible rayon. En comparaison, la française paraît fluette et diablement agile, une sorte de feu follet glissant de virage en virage.
Une question de cohérence
Reste qu’il n’est pas le lieu ici de décréter une gagnante, les deux autos appartenant à des catégories de prix et puissance différentes, les rendant incomparables. Seule leur architecture à moteur central et leur dévotion au plaisir de conduite les rapprochent, chacun y parvenant à sa façon. La Porsche 718 Spyder – à l’instar de la Renault Mégane R.S. Trophy-R – vise la performance absolue et la précision démoniaque, au prix d’une sécheresse certaine de la suspension. Un concept qui rentre quelque peu en collision avec sa carrosserie décapotable, plus décontractée. En ce sens, l’Alpine A110 S paraît plus cohérente. Et le plaisir qu’elle propose en rapport avec le prix est sacrément tentant
A110 S vs Mégane R.S. Trophy-R: cœur identique, mais âmes différentes
Dans sa lutte contre le monde, l’Alpine A110S doit aussi se méfier des menaces venant de son propre camp. En effet, on trouve dans le Groupe Renault, à un tarif similaire à celui de l’Alpine, la Mégane R.S. Trophy-R (lire RA 21/2020). Leur cœur, aussi, est identique: sous les capots des deux sportives, bat le même quatre-cylindres 1.8 litre signé par Renault Sport. Seules les valeurs de puissance – 292 ch sur l’Alpine, 300 ch sur la Mégane – et de couple (respectivement 320 Nm et 400 Nm) varient. Pour le reste, la philosophie des deux cousines françaises ne pourrait être plus différente. Laurent Hurgon, pilote essayeur pour Renault Sport ayant participé au développement des deux autos, résume ainsi leur dissimilitude: «L’Alpine est centrée sur l’amusement au volant, en se calquant sur le comportement des anciennes A110. La Mégane, c’est tout le contraire: l’accent a été mis sur la performance pure». En somme, l’une est tournée sur le plaisir de conduite accessible au quotidien, l’autre se veut une bête de circuit. Sur route, les différences de caractère sont effectivement criantes. L’Alpine A110, même dans sa version plus affûtée S, reste une auto au niveau de confort appréciable: l’amortissement tolère les routes déformées, des mouvements de caisse sont perceptibles. Toutefois, la progressivité et la grâce avec laquelle l’Alpine bascule sur ses appuis sont envoûtantes, la berlinette vous communiquant le moindre de ses états d’âmes lorsqu’on la bouscule. Ainsi, les limites sont approchées en pleine conscience, l’Alpine étant particulièrement prévenante. Son agilité, fruit de ses dimensions et poids contenus (1120 kg), est addictive: on ne lasse pas d’enrouler virage après virage à son bord. En comparaison, la Mégane R.S. Trophy-R paraît plus engoncée dans une carcasse plus imposante et plus lourde (1315 kg), sans compter que la disposition de son moteur à l’avant la rend moins agile. D’accord, mais diantre, quelle efficacité! La précision du train avant, à l’inscription en virage, est phénoménale. Indiquez le point de corde à la Mégane, elle s’y rue avec une frénésie rarement vue dans le segment. La tenue de route est, elle aussi, ahurissante, la Trophy-R semblant s’accrocher à la route avec férocité. Attention, toutefois: la Mégane a également ses limites. Et aussi loin qu’elles soient repoussées, celles-ci se manifesteront de façon bien moins prévenante qu’à bord de l’Alpine. La raison tient dans le tarage de ses suspensions, très dur, qui vise avant tout l’efficacité. La Trophy-R est, en ce sens, une arme pour les spécialistes. L’Alpine, elle, c’est du bonheur au quotidien pour la majorité!
Merci pour ce bel article . Il est fort agréable de lire un tel texte qui ne parle que d’amour de l’automobile sans a priori partisan , en gardant en tête que ces véhicules apportent beaucoup de plaisir de façon différente mais que l’une n’est pas meilleure que l’autre parce qu’elle a un plus grand coffre , un plus gros moteur ou plus d’aluminium sur le tableau de bord .
Salutations d’Alsace