Toutes les voitures exposées dans l’immense salle ont été rachetées et sont en état de marche. Vous pouvez donc prendre le volant de n’importe laquelle de ces 100 Alfa Romeo, qui ont fait la riche histoire de la marque. Le responsable des lieux, qui entretient ces belles mécaniques avec zèle, possède encore une autre salle renfermant 20 autres joyaux de la marque. «J’ai tout simplement un autre genre de hobby», confie-t-il.
Axel Marx est un sacré personnage! Autrefois chirurgien vasculaire renommé, il travaillait dans un hôpital dirigé par des religieuses. Il a constitué depuis une incroyable collection d’Alfa Romeo, mais il n’aime pas trop faire parler de lui. Ce passionné, qui voue un véritable culte à la marque milanaise – «Ferrari est l’Alfa Romeo du pauvre» – est régulièrement consulté par les hauts responsables d’Alfa Romeo. Véritable encyclopédie vivante, il connaît l’histoire de chacune de ses voitures, de chaque moteur, et pourrait identifier chaque pignon d’une boîte de vitesses. Il rétorque avec modestie que «tout le monde sait ça». Emporté dans son discours, qu’il mène dans cinq langues de manière toujours très divertissante, il s’interrompt pour ne pas se disperser, mais embraie sur d’autres récits passionnants. On boit ses paroles, car personne n’en sait plus sur Alfa Romeo, sur sa contribution à l’histoire moderne. On parle technologie, mais on touche aussi à l’art.
La collection d’Axel Marx est un tableau presque exhaustif de l’histoire d’Alfa Romeo. Il ne possède toutefois aucun véhicule d’avant la Première Guerre mondiale, le plus ancien modèle datant de 1928, une 6C 1500 à carrosserie James Young. «La voiture est encore dans son état d’origine; avec ma femme, nous l’avons déjà conduite jusqu’en Sicile, aller-retour. Cette voiture est idéale pour voyager, car rien ne peut vraiment casser. Elle n’a ni pompe à essence ni joint de culasse, et ses freins fonctionnent encore manuellement.» A propos des valises taillées aux dimensions du coffre: «Ma femme les trouve trop vieilles. Mais elles font tout de même partie de l’équipage depuis 92 ans!»
Axel Marx est tout aussi exalté lorsqu’il aborde la biographie de Vittorio Jano, concepteur de la 6C 1500. Puis, nous bifurquons sur la 6C 1750, la pierre angulaire de la marque dans l’Entre-deux-guerre, et poursuivons vers les 6C 1900, 6C 2300 et 6C 2500. Il en possède parfois plusieurs exemplaires, raconte leur généalogie et leurs anciens propriétaires parfois illustres, avec quantité d’anecdotes sur leur acquisition et autres périples vécus au volant. Une journée ne suffirait pas à couvrir ne serait-ce que la 6C 1500.
Les temps modernes
Le Museo Storico Alfa Romeo à Arese (voir RA 07/2020) recèle des pièces, certes plus rares, comme la 8C 2900 B Le Mans à carrosserie Touring, qui est aussi l’Alfa préférée d’Axel Marx. Toutefois, la collection de l’ancien médecin se veut plus éclectique, elle répond à une réflexion historique plus profonde. Avec la 1900 lancée en 1950, Alfa Romeo entrait dans l’ère de la production en série. Le collectionneur possède donc logiquement une Berlinetta classique, l’une des premières fabriquées. Cette base a aussi servi au développement de la Matta, un tout-terrain d’inspiration Jeep que possède aussi notre hôte. «J’en avais une encore plus belle dans le passé.» Nous étudions aussi les carrosseries spéciales: Touring, Pininfarina, Castagna, ainsi que deux très belles pièces créées en Suisse, l’une signée Ghia-Aigle et l’autre Worblaufen. On s’attarde sur la 1900 Zagato, chef-d’œuvre qui côtoie des modèles issus de la recherche aérodynamique, à savoir la Giulietta Zagato, la SZ officielle, la SZ Coda Tronca (première pièce maîtresse d’Ercole Spada) et la Giulia TZ de couleur bleue. «Il s’agit de la voiture que l’importateur français prêtait aux journalistes, parce que c’était la plus lente. Les TZ les plus rapides devaient gagner des courses!», déclare Axel Marx, amusé. «Ce véhicule est totalement d’origine. Tout est dans le même état qu’à sa livraison.»
Cohabitent dans ces lieux des séries de modèles très différentes. On y trouve notamment toutes les motorisations d’Alfasud. Et toutes les Alfetta GT. Les modèles récents sont aussi de la partie, tels que 156, 159, Brera, Mito, Giulietta et Giulia. Au quotidien, Axel Marx conduit d’ailleurs un Stelvio. Il entretient sinon une relation toute particulière avec la 8C Competizione, qui pourrait faire l’objet d’un prochain article dans nos pages. La collection Marx nous réserve encore quelques raretés, connues seulement de quelques initiés comme l’OSI Alfa Romeo 2600 de Luxe de 1966. La première acquisition est aussi présente, en l’occurrence une Giulietta Spider qui remonte aux années d’études du médecin. Et, avec l’autre Giulietta Spider, Axel Marx a traversé la moitié de l’Amérique du Sud en partant d’Argentine. S’il a inoculé précocement le virus Alfa, il s’en explique: sa mère conduisait déjà un modèle de la marque.
Des Alfa façon salsa
Axel Marx nourrit un lien fort avec l’Amérique du Sud, qui est à la base du hobby évoqué en début d’article: «J’ai suivi des cours de portugais durant quatre ans. Non pas pour commander un caipirinha sans accent, mais pour apprendre et creuser l’histoire de la branche brésilienne d’Alfa Romeo, la Fabrica Nacional de Motores» (voir encadré à droite). «Je pourrais écrire un livre sur le sujet…», explique Axel Marx avec un grand sourire. La préface pourrait expliquer l’emblême «FNM», symbolisant un biscione comme celui de la maison-mère. Sauf que le logo stylisé donne ici l’impression de sucer une tétine. Axel Marx rebondit avec esprit sur d’autres histoires captivantes, notamment la relation entre le président brésilien de l’époque (Juscelino Kubitschek) et Alfa Romeo, l’implantation de vieux moteurs italiens sur des voitures neuves, ces généraux qui jouaient au football ou le fait de payer trois fois pour faire venir deux voitures en Suisse. Si rien n’a encore été décidé sur la parution d’un livre, Netflix devrait produire une série dédiée aux voitures et surtout à la vie palpitante d’Axel Marx, un collectionneur hors normes!
L’aventure brésilienne d’Alfa Romeo
Les années 50 ont vu Alfa Romeo tenter la fabrication d’automobiles au Brésil. Le projet d’une usine propre échouera, mais la Fabrica National de Motores, liée au président de l’époque Juscelino Kubitschek, décrochera un contrat pour la production d’autos du Biscione. Le début de la fabrication coïncidera pratiquement avec la fondation de Brasilia, le 21 avril 1960, décrétée nouvelle capitale du pays. C’est la date à laquelle la FNM 2000 sera présentée. Cette auto, reprenant la base technique de l’Alfa Romeo 2000 (série 102), devait être fabriquée à partir de pièces brésiliennes. En réalité, si la carrosserie reprenait celle d’un modèle récent, la technique était plus datée: le moteur était celui de la 1900, lancée en 1950. Même ainsi, la FNM 2000 était, de loin, la voiture la plus chère commercialisée à cette époque. Au fil du temps, FNM-Alfa a renforcé sa position sur le marché. Les Italiens reprendront la main en 1968, si bien qu’en 1974, le logo présentant un dragon «avec une tétine» cèdera la place au traditionnel badge Alfa Romeo. L’aventure se terminera en 1986 avec la sortie de la dernière Alfa sud-américaine des usines.
Une place pour les mal-aimées
Marx ne se contente pas de collectionner la crème des Alfa Romeo, mais aussi les plus controversées d’entre elles, comme l’Arna. La compacte s’est aujourd’hui faite rare sur nos routes, puisque seuls 53 047 exemplaires ont été fabriqués entre 1983 et 1987. Pour rappel, ce projet naissait de la collaboration d’Alfa Romeo et Nissan. Les japonais fournissaient la base technique de la Nissan Cherry, tandis que le Biscione amenait le moteur et le train avant. Nissan souhaitait, par ce bais, contourner les fortes taxes de douane qui frappaient les voitures japonaises en Italie.