Le 10 juin, la nouvelle loi sur le CO2 a été adoptée avec une large majorité parlementaire (135 voix contre 59). Le groupe de l’UDC et quelques représentants du PLR se sont retrouvés isolés dans le camp du non. Cette loi dit notamment que les fabricants et importateurs de combustibles fossiles doivent désormais compenser une plus forte partie des émissions de CO2. Ce qui aura pour effet de renchérir le prix de l’essence et du gazole. D’ici à 2024, il est prévu que cette compensation rende le litre de carburant plus cher d’au maximum dix centimes et, à partir de 2025, jusqu’à concurrence de douze centimes.
Par ailleurs, la valeur-plafond de CO2 pour la moyenne des véhicules neufs va être beaucoup plus sévère et elle s’appliquera aussi aux poids-lourds.
Une taxe sur les billets d’avion
De plus, il est prévu de supprimer le remboursement de l’impôt sur les huiles minérales à partir de 2026 pour les véhicules circulant dans le trafic régional et à partir de 2030, pour tous les véhicules soumis à une concession. Les billets d’avion ne sont pas épargnés non plus avec une taxe allant de 30 à 120 francs en fonction de la classe et de la distance du vol. Les bâtiments anciens, quant à eux, seront soumis à une valeur-plafond de CO2 à partir de 2023 dès lors qu’il faudra remplacer le chauffage. Cela signifie que les propriétaires de maisons ne pourront plus faire installer de nouveaux chauffages au fioul qu’à la condition que leur logement soit parfaitement isolé. A la place du fioul, ce sont des chauffages renouvelables telles les pompes à chaleurs qui seront prescrits.
Manque d’innovations
Les sommes d’argent censées provenir de la nouvelle loi sur le CO2 vont alimenter dans une proportion importante le nouveau fonds pour le climat. Un fonds dont personne ne sait encore à vrai dire ce qu’il va permettre de financer. Il serait question, notamment, du développement de carburants renouvelables pour les avions et les poids-lourds, de technologies de propulsion à empreinte carbone neutre dans les transports en commun, de la promotion des voyages transfrontaliers en train, y compris les trains de nuit comme alternative aux vols en avion. Ce qui fait dire à Roland Bilang, d’Avenergy: «Ces dernières années, nous avons montré que nous sommes parfaitement capables d’investir judicieusement dans la promotion et le développement de nouveaux carburants. Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle loi.»
Peut-on dire que cette loi veut uniquement alimenter cet énigmatique fonds pour le climat? «Tel est mon avis», dit Roland Bilang. Le président de l’ACS, Thomas Hurter, précise «que nous ne sommes pas opposés à des mesures de protection du climat.» Le plus important est de déterminer les bonnes mesures à prendre. «Les impôts n’ont jamais été générateurs d’innovations», dit Thomas Hurter. Or, c’est exactement ce qui manque actuellement. «Je m’étonne à chaque fois que le Parlement se considère comme un générateur d’innovations, alors même que son dynamisme sur ce chapitre est tout au plus symbolique.» Si l’on veut protéger le climat, on doit rendre plus efficientes les différentes formes de mobilité, comme l’a déclaré le conseiller national de Schaffhouse: «Pour cela, il faut de l’innovation, de la recherche et des liquidités, exactement ce à quoi cette loi fait obstacle.»
Un autre argument du comité économique à l’origine du référendum est que la Suisse est parvenue, ces dix dernières années, à réduire de 20% les émissions de CO2 par habitant. Et ce, malgré une augmentation de la population et sans loi sur le CO2 entravant l’innovation. Ce à quoi ajoute Thomas Hurter: «En tant que Suisses, nous devrions au contraire préconiser des solutions à grande échelle, c’est-à-dire globales ou européennes.»
Même opinion du côté du conseiller national PLR Christian Wasserfallen: «Il ne faudra pas s’étonner de voir la circulation augmenter si une famille suisse de quatre personnes est contrainte d’aller prendre l’avion de l’autre côté de la frontière, si cela lui permet d’économiser 480 francs au seul titre de la taxe sur le CO2.»
Ailleurs, ces taxes existent déjà
«Nous faisons seulement ce que l’on pratique depuis longtemps déjà à l’étranger», dit la présidente du DETEC, Simonetta Sommaruga. Sauf que cela arrive à un moment où le coronavirus conditionne tout dans de nombreux domaines de la vie quotidienne. Le secteur du tourisme, par exemple, ne fonctionnera sans doute plus jamais comme avant. Thomas Hurter ajoute: «Pour ceux qui ont peur de perdre leur job, la question du climat perdra soudain un peu de son importance.» Il espère que le scrutin se tiendra au mieux en 2021, déjà.
Appel massif
Pour toutes ces raisons, les fédérations directement impactées par la nouvelle loi sur le CO2 comme l’ACS, auto-suisse, Avenergy, l’association pétrolière Swissoil, l’Union professionnelle suisse de l’automobile, la fédération des transports Astag, l’Association suisse des aérodromes ou l’Association du marché automobile indépendant suisse ont lancé le référendum. L’Union suisse des arts et métiers prendra sa décision fin octobre.
Il est plus surprenant, par contre, que les ayatollahs de la protection du climat, en particulier en Suisse romande, voient dans le référendum une aubaine au motif que la loi ne va pas assez loin. Lors du scrutin, cela ne pourrait-il pas éventuellement être un avantage pour les opposants à la loi sur le CO2?«Cela ne sera assurément pas nuisible», répond le président de l’ACS, Thomas Hurter. D’autant plus que la «résistance verte» n’est pas le fait de grandes organisations populaires, mais d’un petit groupe d’extrémistes.
Cinq des 26 groupes régionaux de défense du climat veulent le référendum sur le CO2. Pour Balthasar Glättli, le président des Verts suisses, c’est cinq de trop, comme il l’a dit dans les médias alémaniques: «Certaines sections de défense du climat agissent selon la devise: d’abord détruire la maison avant de la reconstruire.» Les Jeunes Verts libéraux sont, eux aussi, opposés au référendum: «Manifestement, les défenseurs du climat veulent voler avant de savoir marcher», déclare Tobias Vögeli, le vice-président des JVLP.
A propos de la récolte des 50 000 signatures nécessaires en 100 jours, «elle ne sera pas facile avec la crise sanitaire, et des fêtes de fin d’année qui approchent», dit Roland Bilang, le directeur d’Avenergy Suisse. Unique certitude: le référendum aura bien lieu. Reste à savoir quel camp politique apportera l’aide la plus déterminante.
Pour plus d’informations: rester-raisonnable.ch.
«Un référendum n’est jamais une contrainte»
Selon le conseiller national Gregor Rutz (UDC/ZH), le consensus au sujet de la loi sur le CO2 est trompeur, il pointe du doigt l’explosion des coûts et de la bureaucratie engendrée par le texte adopté par le parlement.
REVUE AUTOMOBILE: Gregor Rutz, trouvez-vous judicieux le lancement de ce référendum contre la loi sur le CO2 que l’UDC y soit favorable?
Gregor Rutz: Absolument. Le fait qu’une large alliance de fédérations économiques aient lancé ce référendum montre bien que le sujet est important. Les propriétaires de maisons et les locataires sont aussi directement concernés. Et, une fois de plus, c’est le consommateur qui paiera la facture finale. L’UDC est le premier parti à dire son intention de soutenir le référendum et je m’en réjouis. Au Parlement, une vingtaine de représentants du PLR et du PDC n’a pas voté pour cette loi. Les choses sont claires: les détracteurs de cette loi sont plus nombreux que l’on a tendance à le croire de prime abord.
Vu le large consensus obtenu par la loi sur le CO2 le 10 juin 2020 au Conseil national, lancer le référendum semble être une contrainte. Êtes-vous de cet avis?
Non. Un référendum n’est jamais une contrainte, mais un instrument de contrôle. Si 50 000 citoyens pensent qu’il faut procéder à un référendum au sujet d’une loi, ils ont le droit de l’exiger. En Suisse, c’est le peuple qui a le dernier mot, et non l’administration. C’est un principe qui ne doit pas changer.
Quels points sont problématiques dans ce projet de loi?
Cette loi va engendrer une explosion des coûts et une bureaucratie absurde. Son but n’est pas une plus grande efficience dans la politique sur le climat, mais elle veut uniquement rendre la consommation d’énergie plus onéreuse. On cherche à faire changer le comportement de la population en lui imposant des interdictions et de nouvelles réglementations. Un renchérissement du prix de l’essence à hauteur de douze centimes, une interdiction de facto des chauffages au fioul, un nouvel impôt sur les billets d’avion – quel est le but de toutes ces stupidités?
Que doit-on faire?
Pourquoi veut-on imposer de telles charges aux familles et aux classes moyennes? Ce n’est pas cela qui va améliorer le climat. Nous devons être conscients d’une chose: une politique ciblée en matière de protection de l’environnement et du climat n’est possible que dans le cadre d’une économie de marché. L’innovation et la dynamique de l’économie génèrent de bonnes solutions pour l’environnement – au contraire des concepts d’économie planifiée. En matière de protection de l’environnement, la Suisse est d’ores et déjà un exemple, c’est un aspect qu’il faut encore et toujours rappeler. Nous avons besoin de bon sens, et pas d’un activisme confus.
Après la fin de non-recevoir opposée à l’Initiative Vache à lait en 2016, ne craignez-vous pas de recevoir une nouvelle claque?
Non. L’initiative Vache à lait était un projet remarquable. Elle a engendré la pression politique nécessaire pour que l’on tienne à nouveau mieux compte des intérêts des automobilistes. Sans cette initiative, d’autres projets – je pense surtout au Fonds pour les routes nationales et le trafic d’agglomération (FORTA) – n’auraient pas donné d’aussi bons résultats. Les importateurs d’automobiles ont eu raison de se lancer. Une pression émanant de l’économie est toujours salutaire pour les milieux politiques. Et quand on se lance dans une telle bataille, on ne doit jamais penser à la défaite, donc nous allons nous battre pour obtenir les 50 000 signatures dans le but de faire tomber cette loi exagérée sur le CO2.
Quelle serait la signification de cette décision?
Ce serait un signal sans équivoque envers le Parlement que la population n’est pas disposée à se laisser imposer des réglementations aussi absurdes.
COMMENTAIRE
Politique climatique inadéquate
La loi sur le CO2 adoptée par le Parlement joue la carte des taxes et de la contrainte au détriment des incitations d’économie de marché.
Aïe, ça va coûter cher! Lors de sa session d’automne, le Parlement a adopté la nouvelle loi sur le CO2. Idée centrale: plus de réglementations, plus de contraintes, plus de taxes. C’est un coup dur pour la mobilité: les taxes sur l’essence et le diesel vont augmenter jusqu’à concurrence de douze centimes d’ici cinq ans. Dès aujourd’hui, la ponction fiscale dépasse les 80 centimes, soit environ les deux tiers du prix que le consommateur paie à la pompe.
Prendre l’avion va artificiellement coûter plus cher, avec une «taxe sur les billets d’avion» pouvant aller jusqu’à 120 francs. Et si vous vous chauffez au fioul, votre taxe sur le CO2 va passer de 96 à 210 francs. L’Union suisse des arts et métiers (USAM) s’attend à ce que le surcoût annuel par personne s’élève jusqu’à 2000 francs. En résumé, cela ne fera pas de mal aux riches, mais Monsieur Tout-le-monde devra jongler avec les inégalités.
Un détournement de finalité éhonté
Il n’y a toutefois pas que la lourdeur de la facture qui marque les esprits. La loi prévoit qu’une partie de l’argent du Fonds pour les routes nationales et le trafic d’agglomération (FORTA) soit affectée à un nouveau fonds pour le climat. Cela équivaut à une falsification a posteriori des résultats de la votation populaire du 12 février 2017 sur le FORTA.
On ne peut tout de même pas proposer aux citoyennes et aux citoyens de voter sur un projet et leur faire ensuite un coup pareil! Un détournement de finalité aussi éhonté mérite surtout un qualificatif: malhonnête. Ce sont ainsi les automobilistes qui ressentiront les effets de cette politique mal avisée. En effet, les sommes prélevées pour le fonds sur le climat feront naturellement défaut quand il faudra moderniser une infrastructure routière, déjà à la limite de l’implosion.
La branche doit montrer ses succès
A cela s’ajoute que la loi sur le CO2 est si complexe que même les experts s’y perdent. Un projet aussi onéreux et aussi compliqué n’est vraiment pas ce dont la Suisse a besoin. On voit donc d’un bon œil qu’une large alliance de l’industrie et du commerce – dont auto-suisse, l’ASTAG, l’UPSA et la VFAS – veuille lancer un référendum contre cette loi. Il sera capital que la branche montre clairement ses efforts et et ses succès pour faire baisser le niveau de CO2 et qu’elle se montre innovante pour d’autres améliorations écologiques. Tout cela doit se faire dans un esprit de volontariat et sans pénaliser les consommateurs.
Philipp Gut est historien, auteur de best-sellers en allemand («Jahrhundertzeuge Ben Ferencz») et l’un des plus éminents journalistes en Suisse. Patron de son agence de communication Gut Communications GmbH, il conseille des entreprises, des organisations et des personnalités.
Philipp Gut