Il est 14h30 ce lundi après-midi du mois de novembre. Claude Nicollier arrive sur le site de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) – où il est professeur honoraire – au volant de sa Smart de couleur grise. Dynamique et sympathique, ce sont les premiers mots qui viennent à l’esprit lorsque l’on rencontre le Vaudois. Le seul Suisse à être allé dans l’espace se prête aimablement à la séance photo. Pas de doute, le septuagénaire est rompu à l’exercice et ça se voit. En passant, il fait une déclaration d’amour spontanée à sa petite voiture: «J’aime ma Smart!» Ah bon pourquoi? « J’aime son esthétique depuis toujours et c’est facile de se parquer, vu qu’elle a un très faible rayon de braquage.» Serait-il sponsorisé par Daimler? Même pas. Ce passionné d’aviation qui a été aux commandes de DC 9 comme pilote Swissair et qui a mené sa carrière de pilote de milice sur des Hawker Hunter et des F-5E Tiger II est pragmatique. «Lorsque je travaillais encore au Space Center à Houston, je me déplaçais tous les jours en Honda Civic. C’est une voiture fiable et économique. Et puis, quand je suis arrivé en Suisse, après avoir passé 25 ans aux Etats-Unis, je me suis demandé quelle voiture j’allais acheter. Veuf depuis 2007, vivant seul et sans nécessité de transporter des personnes, je n’ai pas besoin d’un plus grand véhicule.» Ses deux filles ne sont pas enchantées par son choix: «Elles sont inquiètes et pensent que ma voiture est légère et par conséquent pas très sûre, surtout sur l’autoroute. Je ne suis pas de cet avis. J’adore mes filles, mais je ne vais pas changer de voiture!»
Train et voiture
Le Vaudois utilise sa Smart pour les petits trajets, par exemple aller faire ses courses deux ou trois fois par semaine dans un grand centre commercial de Crissier, ou pour aller à l’aéroport de Payerne qui est loin de la gare. «J’y allais à 4 heures du matin pour les essais de Solar Impulse dans les années 2010 à 2013. Cela aurait été impossible en transports publics.» Mais, lorsqu’il se rend au Tessin, à Genève, à Zurich, à Bâle, ou dans une autre grande ville de Suisse, il prend le train. Claude Nicollier est d’ailleurs titulaire d’un abonnement général des CFF.
L’ancien astronaute parcourt quelques 10 000 kilomètres par année au volant de sa voiture. «Actuellement, ma Smart consomme 4,5 litres aux 100 kilomètres et je l’utilise peu. Je n’ai donc pas trop mauvaise conscience. Ce n’est pas extraordinairement faible comme consommation, mais c’est raisonnable.» La Smart électrique, il y a bien pensé et l’a même essayée, mais les 100 kilomètres d’autonomie qu’elle permettait à l’époque n’étaient pas suffisants pour lui. Pour le futur, il verrait d’un bon œil le développement des voitures électriques à pile à combustible (hydrogène). «Cela arrive lentement, on pourra faire le plein d’hydrogène comme on fait le plein d’essence. Pour le moment, il n’y a que quelques stations d’hydrogène en Suisse, mais j’espère que cela changera dans les dix prochaines années.»
En attendant, déplacements en voiture ou en train, la vie professionnelle de Claude Nicollier est encore bien remplie. Il donne un cours intitulé «Space mission design and operation» à l’Ecole polytechnique de Lausanne durant le semestre d’été, ainsi que de nombreuses conférences dans les écoles ou des sociétés telles que le Lions ou le Rotary Club sur son expérience dans l’espace. Il ne s’ennuie pas. «J’ai le sentiment d’être extraordinairement privilégié. J’ai pu vivre quatre missions spatiales, soit quarante-trois jours dans l’espace. Je me dois de partager cette aventure inouïe.»
Le ciel et la terre
En automne, il participe régulièrement à des voyages en Amérique du sud comme guide et conférencier. «Je montre et j’explique le ciel de l’hémisphère sud aux voyageurs que j’accompagne. J’apprécie beaucoup cette activité. Dans le désert d’Atacama, par exemple, il y a de grands observatoires et de très grands télescopes.» Il donne également des conférences sur l’espace lors de croisières en Antarctique. Ses loisirs? «C’est le ciel», sourit l’ancien astronaute. Durant la première vague de la pandémie, il a beaucoup marché et beaucoup observé la nature et le ciel. «Les Pléiades étaient traversées par Vénus. Je me suis abreuvé de spectacles célestes. Si, à Beijing ou à New Dehli, on a assisté à une clarification du ciel, ici, il y a eu relativement peu de changements.»
Quand Claude Nicollier n’a pas la tête dans les étoiles, il est derrière son ordinateur pour suivre des webinaires –des séminaires en ligne- de l’EPFL, de l’Association des Explorateurs de l’Espace ou de l’International Space Science Institute à Berne, concernant l’astronomie et le spatial. «J’apprends des tas de choses, c’est très stimulant. J’interviens parfois, par exemple, pour expliquer les réparations du télescope spatial Hubble ou pour poser des questions.»
Aujourd’hui, le message principal que le scientifique souhaiterait faire passer concerne la Terre et son atmosphère. «La planète Terre est aux soins intensifs. Notre responsabilité est de nous en occuper. Il faut mettre les énergies renouvelables en avant. Je pense à mes quatre petits-enfants et à tous les jeunes de la même génération: je souhaite qu’ils aient un futur harmonieux.» N’est-ce pas un message paradoxal de la part d’une personne qui a grillé des centaines de milliers de litres de kérosène lors de ses activités professionnelles? « Il y a le passé et le présent. Les choses ne sont plus les mêmes qu’il y a vingt ou quarante ans. A l’époque, on ne portait pas trop d’attention à ce genre de questions. Mais aujourd’hui, on s’en préoccupe.»
Ce pilote passionné souhaite encore rappeler que l’aviation représente 4% de toutes les émissions de CO2. Quant aux activités de l’aviation militaire en Suisse, elles correspondent au 0,6% pour notre pays. «La majorité des émissions proviennent de l’industrie et des transports. Il est de notre responsabilité de transiter vers des solutions durables pour réduire les émissions de CO2 qui contribuent largement au réchauffement climatique, avec de graves conséquences dans le futur. L’électricité et l’hydrogène sont des solutions d’avenir pour la mobilité terrestre et aérienne.»
Revue Automobile: Prost, pour vous, c’est qui?
Claude Nicollier: Je n’ai pas de relation particulière avec Prost. Il est dans un autre monde et je le respecte. Je lui offrirais volontiers un tour dans ma Smart s’il pouvait m’offrir un tour en Formule 1.
Votre première fois en voiture?
Je devais avoir vers les 5 ou 6 ans. J’étais sur le siège arrière de la VW beetle bleu foncé de mes parents. On roulait entre Martigny et Sion. A un moment donné, très fier, mon père a annoncé: «On a atteint les 100 km/h!»
Votre première voiture?
De 18 à 25 ans, j’ai roulé en Citroën 2CV, puis une Dyane, dont on disait. «C’est une 2CV qui a les bonnes manières». J’étais „Citroëniste“.
Aujourd’hui, vous roulez en?
Smart.
Votre voiture de rêve?
La Smart! Ou alors une voiture mythique: la Jaguar Type E, mais pas dans l’idée de la posséder.
Le plus fameux de vos périples en voiture?
De Guadalajara à Puerto Vallarta en Ford Econoline, avec mon épouse et mes deux filles. Elles avaient environ trois ans et sept ans et s’en souviennent encore. Ce sont mes beaux-parents, qui habitaient au Mexique, qui nous avaient offert ce gros bus fourgon au moteur V8 5 litres. A l’époque, les considérations écologiques n’étaient pas de mise. Toute la famille Nicollier dans cet immense véhicule! Il était argenté avec de grandes bandes violettes, et l’arrière était capitonné de fourrure. Après avoir passé la Sierra Madre occidentale, nous sommes arrivés dans la forêt vierge, où lors des arrêts, on pouvait voir de grosses araignées. Puis, nous sommes parvenus au bord de l’océan Pacifique. Cela reste pour moi un très beau souvenir.
Un cauchemar en voiture?
Glisser sur une route mouillée et perdre le contrôle. Ça m’est déjà arrivé, mais sans conséquence. C’est pour cela que je vais toujours lentement lorsque la route est mouillée.
Au volant de votre voiture, vous vous sentez…
Toujours heureux quand il n’y a pas de bouchons.
Vivre sans voiture?
Ce serait possible, mais je regretterais cet élément de liberté et de flexibilité.
Le 30 km/h dans toutes les villes suisses, est-ce une bonne idée?
Ce n’est pas une bonne idée, sauf dans les endroits ciblés, où il y a des enfants par exemple. Après 25 ans passés aux Etats-Unis, j’ai gardé une très grande sensibilité par rapport à la sécurité des enfants. Là-bas, quand un bus scolaire s’arrête, un lumière «flashante» s’enclenche et les automobilistes doivent s’arrêter, sinon ils risquent gros.
Les voitures sans conducteur: bonheur ou frustration?
Ce n’est pas une frustration et ça va venir petit à petit. Il faudra s’adapter. Je verrais d’un bon œil ce genre de voitures. Il faut une intelligence artificielle bien programmée et parfois un coup d’œil sur la route….
Qui prendriez-vous à coup sûr en auto-stop?
N’importe qui, si j’ai la perception que la personne en a besoin.
Et qui surtout pas?
Personne, si j’ai l’impression que quelqu’un en a besoin. De préférence une personne âgée, car la probabilité d’avoir besoin d’aide est encore plus grande. Je l’ai fait très souvent et j’ai même changé un peu mon itinéraire pour rendre service à un piéton pris en stop.