Le Monte Carlo a été pour le moins particulier cette année, pas tant parce que les organisateurs célébraient le 100e anniversaire de la course, mais parce que l’éditione a vu Sébastien Ogier triompher pour la huitième fois. Dans une interview exclusive accordée à la REVUE AUTOMOBILE juste après son nouveau sacre monégasque, le Suisse d’adoption ne s’est pas seulement dit heureux, il s’est également montré réfléchi.
Revue Automobile: Le Monte Carlo n’est pas seulement la manche inaugurale du Championnat du Monde des Rallyes (WRC), il est également considéré comme le rallye le plus prestigieux de la saison. Pour vous, Sébastien Ogier, y a-t-il un avantage à jouer à domicile?
Sébastien Ogier: Oui, mais malheureusement, il n’est pas énorme. Par exemple, je pense que l’avantage d’être Français au Monte Carlo n’est pas aussi important qu’être Finlandais au Rallye de Finlande, qui affiche des caractéristiques de piste toujours semblables. Au contraire, au Monte, les spéciales sont différentes d’année en année. Je suis donc d’autant plus fier lorsque je le remporte.
Après les deux spéciales du jeudi, vous n’étiez que cinquième, avec 17 secondes de retard. Quelle a été l’importance des premiers kilomètres du vendredi matin?
Sur les autres rallyes, 17 secondes, c’est une éternité. Sur le Monte, ce n’est pas le cas. Nulle part ailleurs, les conditions de piste et le choix des pneus ne sont si difficiles à faire. Même si j’ai rencontré de nombreux problèmes de freins au début, le plus important, selon moi, c’était de rester calme pour rallier la ligne d’arrivée sans encombre.
Garder son calme est une qualité en course?
Rester calme et concentré reste mon principal objectif sur chacun des rallyes que je dispute. Cela dit, il faut bien reconnaître que ma réaction naturelle est tout autre (éclats de rire). Moi aussi, après une erreur, j’ai tendance à vouloir à tout prix regagner le temps perdu. Par exemple, lors de la dernière épreuve de vendredi, j’ai poussé la voiture plus que je n’aurais dû le faire. Mais j’étais furieux de ma crevaison quelques minutes auparavant. Nous avons frôlé plusieurs fois la catastrophe. Mais, à cette vitesse, cela fait partie du jeu. Tout l’art du rallye consiste à rester cool, à garder son sang-froid. A ne pas prendre trop de risques, également et à toujours garder présent à l’esprit ce qui prime.
Avec cette huitième victoire au Monte Carlo, vous entrez dans l’histoire en décrochant votre 50e victoire en WRC. Des succès remportés au volant de cinq voitures différentes (Peugeot, Volkswagen, Ford, Citroën et aujourd’hui Toyota). Relevez-vous ce genre de statistiques?
En fait, je ne fais pas vraiment attention aux statistiques. Mais, parfois, des personnes me rappellent certains détails. Par exemple, il y a trois ans, à peine étions-nous arrivés au port de Monaco que Walter Röhrl me téléphonait pour me féliciter d’avoir, comme lui, remporté le «Monte» sur quatre autos différentes. Le fait qu’un tel champion m’ait appelé a eu plus d’importance pour moi que le résultat en lui-même. Avec Ayrton Senna, Walter Röhrl était mon idole quand j’étais tout jeune. C’est toujours Senna qui détient le record de victoires en Grand Prix ici à Monaco. Aujourd’hui, avec mon record, je me rapproche encore un peu plus de lui, ce qui me rend fier. Aussi parce que j’ai une relation particulière avec le «Monte».
Parce que vous avez grandi dans les Alpes du Sud françaises?
Tout à fait. Le rallye auquel j’assistais étant enfant m’a incité à devenir moi-même pilote de rallye un jour. J’espérais avoir la chance d’y participer une fois. Gagner un jour ce rallye était pour moi le rêve le plus fou, à l’instar de Walter Röhrl. Pour lui aussi, cela a été plus important que le titre de Champion, même si c’était pour d’autres raisons. Pour lui, il s’agissait surtout des conditions particulièrement difficiles qui donnent un reflet exceptionnel à la performance du pilote. Mais, pour moi, c’est avant tout l’idée de vaincre à domicile, entouré de mes amis et de mes parents qui m’a le plus séduite. La sensation de bonheur d’avoir bien réussi ici est vraiment indescriptible. Jamais je n’aurais imaginé gagner aussi souvent ni même remporter 50 rallyes ainsi que sept titres de Champion du Monde.
Parce que vous avez, la plupart du temps, pris les bonnes décisions?
En tout cas, je n’ai pas commis beaucoup d’erreurs. Mentalement, l’année de préparation pour Volkswagen avec la Škoda Fabia S2000 n’a pas été la période la plus simple. Avec la Citroën C4 WRC, j’avais quand même remporté sept victoires au classement général. Et, si Volkswagen ne s’était pas retiré, nous aurions sans doute gagné bien davantage ensemble. Après deux très belles années couronnées de succès chez M-Sport, il était clair que Ford ne voulait plus maintenir son engagement à ce niveau de performance. Voilà pourquoi j’ai rejoint Citroën. Même si ce fut une année difficile, nous avons, malgré tout, remporté quelques succès. Si je devais réécrire l’histoire, je referais exactement la même chose. Surtout parce que je cours aujourd’hui chez Toyota. Une magnifique équipe. Les victoires sont d’ailleurs la confirmation de notre excellente coopération.
Votre victoire du Championnat l’année passée a-t-elle été votre titre le plus difficile?
La saison a été plus compliquée que difficile. A cause de la pandémie, le calendrier ne cessait de changer. Il a fallu se concentrer sur l’essentiel malgré toutes les incidences extérieures. Avec aussi peu de rallyes au calendrier, chacun savait que toutes les courses allaient compter. Mais, certaines années, j’ai lutté bien davantage.
A vrai dire, vous vouliez raccrocher l’an dernier. Malgré tout, vous avez décidé de continuer…
En fait, sans la pandémie, 2020 aurait été ma dernière saison, mais il était clair que je ne voulais pas terminer ma carrière sur une telle saison. Cela dit, j’ai beaucoup apprécié le temps passé avec ma femme Andrea et notre fils Tim, j’ai pris du plaisir à faire des choses pour lesquelles je n’ai guère le temps, d’habitude: ski nautique sur le lac de Constance et jouer au golf. L’équipe m’a toujours laissé entendre que j’étais le bienvenu. Cette année, je fais juste une saison de plus.
Etes-vous vraiment sûr de raccrocher à la fin de la saison?
Il est clair que 2021 sera ma dernière saison complète. Tout le monde me parle des neuf titres de champion de Sébastien Loeb. Je n’attache guère d’importance au nombre de titres, j’ai toujours eu d’autres objectifs et d’autres projets. Ainsi, le temps que je passe avec mon fils Tim a pour moi, autrement plus d’importance que le nombre de titres de Champion. Ce qui ne m’empêche pas d’imaginer que je pourrais disputer un rallye de temps à autre, a fortiori le «Monte», car les spectateurs, absents cette année, y sont très enthousiastes d’ordinaire. C’est d’autant plus tentant que tous les constructeurs partiront d’une feuille blanche avec les nouvelles voitures hybrides en 2022. Pour l’heure, je n’ai aucun projet. Je ne sais même pas si j’aurai l’occasion de tester la future voiture. En fait, je préfère me concentrer sur la saison.
Jari-Matti Latvala, votre ex-collègue et nouveau chef d’équipe, ne demande qu’à vous garder chez Toyota. Qu’en pensez-vous?
Ça, c’est son problème (éclats de rire). Si j’ai opté pour Toyota, c’est notamment parce que nous avons différentes options. L’été dernier, j’ai essayé le simulateur LMP1 et je pense avoir fait plutôt bonne figure. Le Mans serait encore un rêve pour moi. J’ai déjà pris le départ en Porsche Supercup, DTM et ADAC GT Masters et j’ai toujours dit que j’étais tenté par le circuit.
Mais qu’en est-il du Dakar?
Ça, ce n’est pas du tout ma tasse de thé. Pour chacune des épreuves de WRC, les pilotes sont en route une bonne semaine durant. Ce qu’il y a tout autour est plus fatiguant que la conduite proprement dite. Pour moi, le pire moment, c’est le jeudi soir. Avant même l’ouverture des hostilités, je téléphone à mon fils pour qu’il puisse me raconter ce qu’il a fait les quatre derniers jours. Et vous, vous me parlez du Dakar? Je serais absent pendant trois semaines d’affilée. Non, merci. Je craquerais peut-être pour les magnifiques paysages et l’aventure, mais le pilotage en tout-terrain ne m’excite pas outre mesure. Piloter une «World Rally Car» aux limites de l’adhérence est tout simplement le nec plus ultra.
Sébastien Loeb a dans son garage quelques-unes des voitures avec lesquelles il a gagné, Petter Solberg possède son musée personnel. Et vous, la collection, cela vous tente?
Moi aussi, j’ai déjà une petite collection. Abstraction faite des trophées, je garde de chaque saison ma combinaison, mes chaussures, mes gants et mon casque. Mais je n’ai pas une pièce dédiée à cela. Je pense que, si je déballe tout, c’est plutôt une halle qu’une pièce qu’il me faudrait.
Et qu’en est-il de vos autos?
Je possède les autos avec lesquelles j’ai été sacré Champion du Monde, autrement dit la VW Polo WRC et la Ford Fiesta WRC. Je pense que je devrais également recevoir une Toyota Yaris WRC. De plus, je devrais tout prochainement recevoir ma toute première voiture de rallye, une Peugeot 206 XS. Je sais où se trouve la Citroën C2 Super 1600 avec laquelle j’ai remporté le titre au Championnat du Monde Junior, mais il n’est pas encore sûr que je puisse l’obtenir. Pour moi, il faut que ce soit MA voiture d’origine; simplement redécorer une autre auto, ce n’est pas trop mon truc.