A la grande époque, lorsque les Etats-Unis étaient encore le plus important constructeur automobile mondial et que Cadillac était leur meilleure ambassadrice, les modèles bénéficiaient chaque année d’un lifting digne de ce nom, pas comme ceux d’aujourd’hui.
Dans les années 1930, Cadillac avait connu des années fastes, mais aussi d’autres plus difficiles. Lancés pendant la Grande Dépression, les modèles à 16 cylindres n’ont pas eu le succès escompté (et mérité!), avec des chiffres de ventes dérisoires, faisant perdre de l’argent au constructeur à chaque exemplaire vendu. Comme les malheurs ne viennent pas seuls, la Seconde Guerre mondiale éclate en Europe et en Asie avec les conséquences sur les ventes que l’on imagine.
Il n’est donc pas surprenant que General Motors ait réduit quelque peu ses dépenses au début des années 1940. Pourtant, malgré cette période d’incertitudes, la marque à la couronne de lauriers se réorganise de façon assez radicale en 1941. Ainsi, pour la première fois en 15 ans, Cadillac ne propose plus qu’une marque et un moteur. Exit donc les fabuleux V16 trop élitistes ainsi que la marque-sœur aux prix plus abordables LaSalle, qui commence à faire doublon. Cadillac a le flair de laisser ainsi ses meilleurs ennemis que sont Packard, Lincoln et Chrysler cibler cette classe moyenne supérieure pour se concentrer sur le segment du luxe.
Un nouveau V8 moins assoiffé
Dans cette optique, Cadillac a proposé six séries différentes du V8 de 5,7 l de cylindrée, qui produisait fièrement 150 ch. Les Série 60 Special, 61, 62 et 63 étaient construites sur un châssis à l’empattement de 320 cm, tandis que les Série 67 et 75 avaient des empattements de 353 cm et 345 cm. Grâce aux nouveaux rapports de pont de 3.77 et 4.27 de série, ainsi qu’un rapport 3.36 proposé spécialement pour les modèles à empattement court, ces autos étaient non seulement beaucoup plus rapides (vitesse de pointe supérieure à 160 km/h, 0 à 96 km/h en 14 s, 0-129 km/h en 23 s), mais aussi nettement plus économiques, notamment par rapport aux premiers modèles de 1936 dotés du tout nouveau V8, critiqués non sans raison pour leur tendance «à la boisson».
Autre première en 1941, Cadillac publie des chiffres officiels de consommation, étant donné que cette «soif» élevée avait souvent donné lieu à des réprobations. Ceux-ci semblent toutefois un peu optimistes: à une vitesse moyenne de 32 km/h, ils seraient de 10,6 l/100 km et de 15,5 l à 96 km/h.
Des avancées plus ou moins réussies
Si l’on avait mesuré la consommation avec l’une des voitures équipées de la première climatisation proposée cette année-là, elle aurait certainement été beaucoup plus élevée, car celle-ci était particulièrement énergivore. Alourdissant le véhicule d’environ 150 kg et comportant des pièces éparpillées dans tout le véhicule, elle faisait non seulement un bruit énorme, mais laissait aussi à désirer en matière d’efficacité. Et il n’y avait aucun autre moyen de l’arrêter que de couper le moteur! Si Cadillac a installé une telle machinerie (dont seules 300 voitures ont été équipées), c’est parce que la marque ne voulait pas être dépassée technologiquement par Packard. En effet, la défunte firme de luxe proposait déjà un système de climatisation en 1940 qui, à vrai dire, n’était pas meilleur.
Toujours en 1941, Cadillac proposait la boîte automatique Hydramatic pour la première fois. Elle était beaucoup mieux conçue et réalisée que la clim’, mais cette première mouture laissait encore à désirer.
Perte de caractère?
L’allure des Cadillac de 1938 à 1941 se dissocie nettement de leurs aînées. Même certains incondititionnels reconnaissent que ces (r)évolutions stylistiques visant à épurer leurs lignes sont excessives. Mais, de là à parler d’appauvrissement et de perte d’identité, comme l’a fait un critique anglais ayant affirmé que Cadillac avait «perdu tout son caractère», est cependant exagéré. Un autre historien de l’automobile, a quant à lui, une autre vue d’ensemble et brosse un tableau plus juste: «A leur époque, aucune autre voiture ne s’en approchait en matière de confort de roulement, notamment en cas de conduite rapide sur de mauvaises routes.»
Ces Cadillac d’avant-guerre peuvent, sans hésitation, être qualifiées de voitures modernes, car elles possédaient de nombreux détails techniques qui sont devenus standard sur d’autres marques seulement bien après la Seconde Guerre mondiale. Conduire l’une de ces voitures peut encore être qualifié d’expérience extraordinaire aujourd’hui. Et, par rapport à leurs concurrentes, elles étaient plus rapides, accéléraient mieux, permettaient de voyager à des vitesses plus élevées avec une consommation plus faible, étaient de très bonne qualité et très faciles à conduire. Une seule marque concurrente pouvait égaler le fleuron de GM: Packard avec les séries 160 et 180 introduites en 1940. Ces voitures pouvaient rivaliser avec les Cadillac dans presque tous les domaines, et selon les ingénieurs de Packard, elles étaient même plus rapides.
Une automobile pratique
Toutefois, ces qualités ne suffisent pas à dissiper l’accusation de perte de caractère. Au fond, qu’est-ce qui fait le caractère d’une automobile? Selon leur concepteur Henry Martyn Leland, les Cadillac étaient destinées à être des voitures pratiques – et les Cadillac de ces années-là étaient effectivement pratiques, dans le sens où leur design simple et épuré évitait toute fioriture inutile. Cela vaut tant au niveau du style que de la technique. Le V16 a peut-être représenté le sommet absolu de l’automobile, mais les modèles V8 de 1936 à 1941 ont été les voitures qui ont établi le «Standard of the World» – dans l’esprit de Henry Martyn Leland, le fondateur de Cadillac.
Le véhicule présenté ici, une série 62 décapotable de 1941, a été fourni par l’Oldtimer-Galerie de Toffen (BE). Ce cabriolet est en mains suisses depuis des décennies et est en très bon état. Le garage V8 Bros à Trimbach (SO) s’est chargé des travaux.