Auteur: Timo Pape
Après six ans de croissance fulgurante, la Formule E avait l’impression d’avoir fait le plus dur: elle venait d’être reconnue comme Championnat du Monde, au même titre que la F1, le WRC et l’Endurance. Toutefois, cette discipline était dans le même temps ébranlée dans ses fondements: Audi et BMW annonçaient leur retrait de la catégorie. Ils ont été suivis neuf mois plus tard par Mercedes, qui n’aura fait qu’une saison entière. Voilà qui pourrait sonner le glas de la Formule E, mais d’autres constructeurs ont assuré leur engagement à long terme. La question demeure néanmoins: pourquoi la catégorie électrique ne fait-elle pas que des heureux?
Aimant à constructeurs
A sa création en 2013, la Formule E a connu un essor sans précédent. Aucun autre championnat n’a attiré autant de grands noms du monde automobile – Renault, Audi, Jaguar, DS Automobiles, BMW, Nissan, Mercedes et Porsche – aussi rapidement. Grâce aux courses organisées au cœur des villes, les écuries et les sponsors avaient soudain l’opportunité d’atteindre un nouveau groupe cible, jusque-là étranger au monde du sport automobile. Ils avaient surtout la chance de démontrer leur savoir-faire en matière d’électromobilité. Malheureusement, la pandémie de coronavirus a tout chamboulé.
La saison 2020 a ainsi été émaillée d’annulations et a subi de longues interruptions entre les E-Prix. Attirer des spectateurs sur place était devenu utopique. En raison des calendriers à refaire, les courses des différentes disciplines – F1, WEC, etc. – se chevauchaient lors des week-ends. De plus, pour pallier le manque d’épreuves, les organisateurs ont dû mettre sur pied des courses parfois dans des lieux atypiques pour la FE, comme sur le circuit de Puebla.
La pandémie a, bien entendu, frappé de plein fouet l’industrie automobile, qui a subi des arrêts des lignes de production, des difficultés d’approvisionnement (les fameuses puces électroniques) et, évidemment, de fortes pertes économiques. Les sponsors sont aussi nombreux à avoir quitté le navire de la FE.
Certains observateurs ont également remis en question le potentiel de développement technique offert par la Formule E. «Le Groupe BMW a épuisé toutes les possibilités de transfert de technologie entre l’environnement compétitif de la FE et la route», a expliqué BMW au moment d’annoncer son départ de la catégorie, en septembre dernier. En effet, les constructeurs étaient pieds et poings liés par un règlement technique, qui leur interdisait toute possibilité de développements propres. A part la chaîne de traction, l’onduleur, les suspensions et la partie logicielle, tous les autres composants de la monoplace sont identiques entre les écuries. Les promoteurs voulaient ainsi contenir les coûts et garantir davantage de spectacle sur la piste, en raison d’écarts plus faibles.
Une question d’argent
Les coûts sont l’une des pierres d’achoppement entre les écuries. La majorité d’entre elles est favorable à un plafond budgétaire, mais certaines voudraient investir davantage pour développer leur propre batterie, par exemple. Les organisateurs planchent depuis plusieurs mois sur un «budget-cap» bien défini, une condition qui attirerait de nouveaux acteurs – comme McLaren, pour 2023. Le constructeur de Woking a officiellement fait part de son intérêt pour la Formule E, mais il attendait de la part des organisateurs un plan attractif.
De son côté, Mercedes a répété que la Formule E devait représenter un modèle d’affaire rentable pour le constructeur. L’écurie n’a hélas pas réussi à convaincre le directeur de la marque dans ce sens, raison pour laquelle Mercedes tirera sa révérence à la fin 2022. Toto Wolff, à la tête du département Compétition de l’étoile, imagine toutefois que les développements pourraient reprendre via une autre équipe satellite; Aston Martin – qui appartient partiellement à Mercedes – serait en effet sur les rangs pour prendre le relais, au moins comme sponsor.
D’un point sportif, on ne peut pas reprocher grand-chose à la Formule E, à part lors des premières années, quand la discipline a fait les gros titres pour quelques dérapages. On pense à l’abandon de la quasi-totalité du plateau lors du dernier tour de l’e-Prix de Valencia, quand les monoplaces sont tombées en panne de courant. On se remémore également quand le pilote Audi Lucas di Grassi a profité d’une lacune du règlement pour dépasser via les stands, sous régime de safety car, à l’e-Prix de Londres en 2021. Les organisateurs ont rapidement réagi afin que ce genre d’épisode ne se reproduise plus. Retenons aussi que la Formule E a été le théâtre d’affrontements épiques, comme à Monaco en 2021. L’e-Prix de la Principauté a vu, en une seule course, autant de dépassements que la F1 en bien des années.
Toujours dans l’air du temps?
Le format des qualifications a, en revanche, souvent été critiqué. Les pilotes sont réunis en quatre groupes, sur la base de leur classement au championnat, qui s’élancent les uns après les autres pour leurs tours rapides. Les pilotes au sommet du classement partent en premier, ce qui est un désavantage pour eux: avec les passages successifs des bolides et le dépôt de gomme sur la piste, le circuit devient toujours plus rapide. Ce qui rejette souvent les meilleurs pilotes en fond de grille. Les fans ne vont pas s’en plaindre toutefois, puisque le championnat a été extrêmement équilibré, avec une pléthore de pilotes toujours en lice pour le titre à la dernière course! «Je ne crois pas qu’il soit déjà arrivé auparavant que 18 pilotes se soient rendus au dernier rendez-vous de la saison d’un championnat du monde avec une chance de décrocher le titre», relève Andre Lotterer, pilote Porsche. Les écuries et les pilotes de pointe, eux, faisaient grise mine. D’autres ont regretté l’absence de «fil conducteur» dans la saison, puisqu’il était difficile de désigner un véritable leader.
Mais pourquoi le format des qualifications a-t-il autant été discuté cette année? La raison tient dans la monoplace (Gen2), qui est arrivée au bout de son développement. Les écarts entre les écuries sont ainsi réduits au minimum, ce qui signifie que l’ordre de passage pour «claquer un chrono» est un facteur décisif. Les organisateurs réfléchissent à changer ce point, afin que les écuries de pointe ne soient pas autant désavantagées, ce qui a été souvent le cas cette saison. Reste à savoir si la Fomule E doit repartir «sur de nouvelles bases», comme l’a suggéré Toto Wolff récemment. Une chose est sûre: la catégorie doit fignoler les détails pour retrouver le chemin du succès. Elle doit offrir aux constructeurs une visibilité à long terme, avec des structures et des règlements clairs. Le va-et-vient des marques est une chose commune dans le sport automobile. Les budgets alloués pour la compétition dépendent beaucoup des orientations stratégiques des entreprises et des personnes qui les chapeautent.
Commentaire du Rédacteur Sports de la REVUE AUTOMOBILE Werner J. Haller
Les écuries d’usine enflamment un championnat, mais font des dégâts en partant.
En 2016, Audi disait adieu au championnat du monde d’Endurance, avant que Porsche ne lui emboîte le pas une année plus tard, laissant Toyota seule. Face à cette désertion, la FIA a abattu la carte de la catégorie hypercars. Convaincues, Porsche et Audi ont annoncé leur retour dans le monde de l’Endurance en 2023.
Le championnat DTM connaissait aussi une vague de départs. Mercedes quittait la discipline en 2018 et sera imitée par Aston Martin et Audi, laissant BMW toute seule. Le fameux championnat allemand des voitures de tourisme a dû, lui aussi, se réinventer, en tournant le dos aux Class1-Cars et se jetant sur les GT3. Et ce, bien que le suspense fut toujours au rendez-vous. Un championnat DTM dédié à la voiture électrique est-il vraiment souhaitable? On peut se poser la question, à la suite du retrait d’Audi, BMW et Mercedes de la Formule E.
Le sport automobile ne devient pas plus calme, au contraire, il se réinvente grâce aux différentes formules électriques. Bien sûr, l’arrivée des grands noms suscite l’enthousiasme et attire l’attention sur la catégorie, avant de plier bagage tout aussi vite. Ce va-et-vient des constructeurs au sein des différentes catégories fait partie depuis toujours de l’histoire des courses. Le show, lui, continue d’une façon ou d’une autre.