Comme de nombreuses histoires, celle de WayRay a débuté accidentellement, ou plutôt par un événement qui a failli se conclure par un accident: au volant de sa voiture, Vitaly Ponomarev, PDG et fondateur de WayRay, manque de peu de percuter la voiture qu’il suit. En cause: la distraction occasionnée par son GPS. L’homme, un Russe d’une trentaine d’années, se demande alors pourquoi il n’existe pas sur le marché un dispositif capable de projeter sur le pare-brise l’ensemble des informations présentes sur le combiné d’instrumentations et l’écran d’infodivertissement. On est alors à la fin des années 2000 et, s’ils sont déjà une réalité dans l’aviation de combat depuis le milieu du siècle dernier, les dispositifs tête haute n’en sont qu’à leurs balbutiements dans les applications automobiles. Surtout, Vitaly Ponomarev a déjà en tête un bien meilleur outil qu’un simple affichage tête haute.
Pour mémoire, un «Head up Display» (HUD) classique est constitué de trois modules: un «combinateur», une unité de projection et un ordinateur de synthèse vidéo. Le combinateur n’est autre qu’une surface sur laquelle les données sont projetées; cela peut être une plaque transparente ou, sur les modèles les plus évolués, le pare-brise lui-même. Le combinateur est ainsi logiquement situé directement en face du conducteur. Couvert d’un revêtement spécial (souvent du phosphore) qui reflète la lumière monochromatique de l’unité de projection, il laisse passer toutes les autres longueurs d’onde de la lumière, créant ainsi une image bien visible par le conducteur.
Une image flottant en dehors du véhicule
Bien différente, la technologie imaginée par Vitaly Ponomarev repose, quant à elle, sur la technologie holographique. Nettement plus complexe, ce procédé divise un rayon laser en deux faisceaux, et ce à l’aide d’un miroir. Le premier faisceau lumineux frappe directement une plaque photosensible et enregistre une onde de référence. Le deuxième rayon, lui, va rencontrer l’objet à holographier avant d’être réfléchi sur cette même plaque. Les interférences entre les deux ondes vont ainsi permettre au film photographique, présent dans la pare-brise, de reconstituer l’image, qui profitera d’un «volume». Autrement dit, cette image pourra donner l’impression de flotter en dehors du véhicule.
C’est cette astuce qui confère à WayRay un avantage de taille; là où un HUD standard se contentera d’afficher des informations assez basiques telles que la vitesse du véhicule, les instructions de navigation, voire les dispositifs d’assistance à la conduite, la technologie WayRay va bien au-delà, en proposant d’intégrer de la réalité augmentée sur le pare-brise. Superposée aux éléments extérieurs du véhicule, cette réalité augmentée permettrait d’«enrichir» l’environnement par le biais d’objets virtuels, d’images et de textes ajoutés. Evidemment, le pare-brise deviendrait personnalisable, en permettant par exemple de se synchroniser avec le smartphone des utilisateurs. Cela permet de voir les événements à venir, en plus des informations générales, comme le flux de circulation dans la ville ou les prévisions météorologiques. En outre, la technologie permettra également d’afficher le menu d’un restaurant devant lequel le véhicule roulera. Idem pour la programmation d’un cinéma ou d’un théâtre. Bien sûr, les applications commerciales (publicités) sont évoquées.
«Une technologie profitant d’un faible encombrement»
La technologie de projection sur le pare-brise de WayRay fonctionne grâce à trois modules hardware, comme l’explique Alessandro Dini: «D’une part, il y a le projecteur DLP (ndlr: pour Digital Light Processing, une technologie de projection d’images reposant sur l’utilisation d’une puce contenant des miroirs orientables). Ensuite, il y a le module comprenant les lasers. Ces deux unités sont reliées entre elles via de la fibre optique. Enfin, le dernier élément est le pare-brise comprenant la feuille de polymère.» Et ce n’est pas tout. «Parallèlement à ces dispositifs, il y a le software qui permet de faire fonctionner le système», rajoute Alessandro Dini. Développées en interne par les ingénieurs de WayRay, mais assemblées par des fournisseurs, toutes ces pièces – et c’est là l’un des nombreux avantages de la technologie WayRay –, n’exigent qu’un faible encombrement, comme l’explique Alessandro Dini: «On parle d’une technologie dont le volume ne dépasse pas les 3 à 4 litres, alors que les modules d’instrumentation standards occupent généralement entre 20 et 22 litres pour l’instant.»
Réservé au conducteur
Actuellement, les prototypes développés par Wayray ne sont destinés qu’au seul conducteur: «Si vous êtes assis sur le siège passager, vous ne pouvez pas voir les informations nécessaires à la conduite», confirme Alessandro Dini, chef du département commercial et marketing de la start-up. Néanmoins, cela pourrait rapidement évoluer: «La technologie est à ce point compacte que nous pourrions créer un double système composé de deux projecteurs, l’un étant dédié au conducteur, et l’autre, au passager.» Avec, à la clé, la possibilité de projeter différents contenus, comme le dit Dini: «On peut imaginer afficher des informations de navigation pour le conducteur. De son côté, le passager pourrait regarder un film ou jouer à un jeu vidéo.» Lequel pourrait, par exemple, recréer des zombies autour du véhicule. «Presque tout est possible», assure Dini. D’autant qu’à terme, c’est l’ensemble des vitres du véhicule qui bénéficierait de la technologie.
Pour l’heure, c’est avant tout l’avantage sécuritaire que WayRay entend mettre en avant, comme l’explique Alessandro Dini: «Avec les écrans standards tels que le combiné d’instrumentations ou l’écran d’infodivertissement, le conducteur détourne son regard de la route pour se concentrer sur un moniteur proche d’une cinquantaine de centimètres de ses yeux. C’est assez dangereux, car cette disposition l’oblige à détourner complètement son regard de la route. Les systèmes d’affichage tête haute existants résolvent en partie ce problème, mais pas complètement, dans la mesure où leurs informations sont décentrées du pare-brise. En outre, l’œil est focalisé sur des informations toujours présentes très proches de lui. Ce n’est pas le cas de la technologie développée par WayRay, qui se superpose à l’environnement.»
Production déléguée
En tant que start-up technologique à la mode, WayRay dispose, avant tout, de toute la propriété intellectuelle. Autrement dit, elle a la mainmise sur les brevets, lesquels englobent non seulement le design des pièces, mais également les softwares. En revanche, la société russo-suisse ne s’embarrasse pas d’une quelconque chaîne de production. Un aspect qu’elle préfère déléguer à des équipementiers de renom: «Nous ne sommes pas des producteurs. Nous ne produisons pas physiquement notre technologie. Ce sont des fournisseurs de niveau 1 qui s’occuperont de produire les pièces», explique Alessandro Dini. En l’occurrence, l’entreprise AGP eGlass prendra en charge l’assemblage du pare-brise, Osram la confection des lasers et Covestro la production du polymère s’insérant dans le pare-brise.
Des origines helvétiques
Si le patron et fondateur de WayRay, Vitaly Ponomarev, est bel et bien d’origine russe, son entreprise n’en reste pas moins suisse, comme nous le raconte Alessandro Dini: «L’entreprise WayRay a été fondée en 2013 en Suisse. Elle est une spin-off d’un programme d’incubation de start-ups de l’Université de Moscou. Au début de notre histoire, nous étions basés à Lausanne mais, en 2018, nous avons décidé de migrer en Suisse alémanique, afin de nous rapprocher de la branche, qui se trouve surtout dans la région zurichoise, voire dans le sud de l’Allemagne.» Aujourd’hui, WayRay compte une quinzaine d’employés à Zurich et 250 au total au niveau mondial, avec des bureaux, en Chine, aux Etats-Unis, en Allemagne et, évidemment, à Moscou. «C’est d’ailleurs là-bas que se trouve la plus grande majorité de notre équipe R&D», précise Alessandro Dini. Annonçant régulièrement des levées de fonds de plusieurs dizaines de millions de dollars grâce à différents investisseurs parmi lesquels Porsche et Hyundai, la société helvétique vaudrait aujourd’hui plusieurs centaines de millions de dollars.
Si les outils industriels semblent parés à entrer en fonctionnement, il n’en reste pas moins que la technologie WayRay n’est pas encore une réalité dans les voitures de série. En revanche, elle existe déjà dans des concepts, notamment le Teorema, un prototype virtuel (lui aussi) conçu par l’italien Pininfarina. Vitaly Ponomarev est formel: «Bien que ce prototype semble très futuriste, la technologie qu’il étrenne est déjà là, prête pour la production de masse.» Ainsi, il faut sans doute s’attendre à voir débarquer le tableau de bord virtuel de la société russo-suisse à l’horizon 2023.
D’incroyables perspectives
S’il est permis de se faire une idée des incroyables perspectives autorisées par la technologie WayRay, il reste encore très difficile d’en percevoir les limites. A ce propos, il faut préciser que celles-ci seront peut-être d’ordre légal: «Aujourd’hui, il existe certaines règles assez générales autour de ce qu’on peut projeter ou non sur le pare-brise», explique Dini. Par exemple, les constructeurs ont pour obligation de ne pas distraire le conducteur. En outre, le pourcentage de visibilité sur la route doit rester important. Evidemment, si la technologie WayRay venait à se généraliser, il ne ferait aucun doute que les règles ne manqueraient pas d’affluer.
Malgré tout, il y a fort à parier que cet affichage tête haute d’un nouveau genre repousse encore plus loin les limites de la créativité des constructeurs. Effectivement, dans un monde qui s’apprête à voir débarquer des véhicules autonomes de niveau 4, voire de niveau 5, la technologie suisse semble pleine de promesses. Et il est désormais certain que la révolution opérée par l’automobile ces dernières années est en passe d’enclencher la vitesse supérieure. Quant à savoir où ce bouleversement s’arrêtera, personne ne peut encore le dire.