Une pole position, trois podiums, des remontées spectaculaires, et même un début plus que convaincant sur l’un des ces circuits ovales qu’il voulait éviter, le bilan 2021 de Romain Grosjean est plus que positif. Mais pour le Genevois, ce n’est qu’une étape. Opéré une nouvelle fois de sa main gauche, il va quitter la Suisse pour s’installer en famille aux USA, prêt à débuter sa nouvelle vie.
REVUE AUTOMOBILE: Romain Grosjean, vous venez de subir une opération chirurgicale. Quel était le but de cette opération?
Romain Grosjean: Elle était prévue. J’avais une greffe, il fallait encore enlever la peau brûlée. Ça ne me gênait pas trop pour conduire, mais ça ne fonctionnait pas dans la vie de tous les jours. Ça me faisait mal, la peau était hypersensible, je devais mettre du scotch, etc.
Pourquoi ce qui n’est pas possible en F1 – se battre pour le podium au sein d’une des plus petites équipes – l’est en IndyCar?
Tout simplement parce que l’on a tous les mêmes voitures. Le seul élément que l’on peut modifier, ce sont les amortisseurs. C’est une pièce très développée. Je pourrais en dire plus quand j’aurai davantage roulé chez Andretti, parce qu’ils sont forts dans ce domaine. D’une certaine manière, la Dallara IndyCar, c’est en quelque sorte une grosse F2: plus rapide, plus puissante, avec de meilleurs pneus, et on a des ravitaillements. L’amortissement joue donc un rôle primordial. Aussi, parce que les pistes américaines sont plutôt défoncées! Pour vous dire, le tarmac des circuits a souvent près de 30 ans.
Le pilote peut donc amener quelque chose de plus?
Oui, parce qu’il peut régler la voiture comme il la désire. En clair, il peut l’adapter à son pilotage. En Formule 1, l’aérodynamique conditionne tout, si la voiture est sous-vireuse quand on la met en piste en début de saison, elle le restera toute l’année!
D’où l’importance de l’expérience?
C’est pour cela que les pilotes durent longtemps et qu’ils sont encore performants tard dans leur carrière. Il y a très peu d’essais, les week-ends de course sont denses: deux fois 45 minutes d’essais libres, le chrono ne s’arrête pas en cas de drapeaux rouges – lesquels sont très fréquents –, et un seul train de pneus tendres. Il faut bosser vite et savoir s’adapter. Avec l’expérience, on connaît les pistes et leur évolution. Et comme il n’y a pas de parc fermé, la voiture change tout le temps. Pour le pilote, c’est gratifiant, il y a une vraie relation avec l’ingénieur (ndlr: le sien, Olivier Boisson, le suit chez Andretti), et j’aime ça.
Dale Coyne a-t-il essayé de vous garder?
Oui, et ça m’a fait mal au cœur de lui dire que je partais, mais l’offre d’Andretti était trop belle pour être refusée. C’est une équipe fantastique, un des grands noms du sport auto. C’était la meilleure option pour la suite de ma carrière. J’avais d’autres offres sympathiques, trois en tout (ndlr: dont McLaren), mais ce fut clair assez vite avec Andretti. Je me suis tout de suite senti le bienvenu.
Vous a-t-il consulté à propos de ses ambitions de F1 par le rachat de Sauber?
On a discuté un petit peu, oui, mais plutôt en rigolant. Je lui ai vite dit que je restais en IndyCar! Chez Sauber, ils sont un peu dans le dur cette année. Tu ne peux pas être derrière Haas.
Comment s’est passé votre découverte de l’ovale des 500 Miles d’Indianapolis lors des Rookie tests obligatoires?
Les quatre virages sont identiques, et en même temps tous différents! Même angle, même banking (inclinaison), même largeur, mais le 1 et le 3 sont beaucoup plus impressionnants, parce qu’on y arrive plus vite. En plus, il y a des tribunes de chaque côté du 1; visuellement, c’est un goulet.
Le pilotage sur ovale est-il différent?
La seule différence que tu peux faire, c’est de moins contraindre la voiture. Ça se conduit du bout des doigts, tout en finesse. C’est intéressant comme jeu, c’est dur en concentration. La vitesse (ndlr: plus de 360 km/h de moyenne), on s’y habitue vite, mais heureusement qu’il y a le «spotter» pour nous guider dans le trafic parce qu’on n’a pas vraiment le temps de surveiller ses rétroviseurs.
Ce premier contact avec le tracé des 500 Miles vous a-t-il rassuré?
Oui, mais ça reste un ovale hyper-rapide, avec les risques que cela comporte. C’est chaud, les courses sur ovale! Mais je suis prêt à y aller, et content. Il y en aura cinq l’an prochain: Texas, Indianapolis, Iowa (deux courses) et Gateway. Pour viser le championnat, on ne peut pas faire l’impasse. Sur ces courses-là, il faudra jouer placé.
A Gateway, justement, votre premier et unique ovale, fin août, vous n’avez pas paru dépaysé…
Non, effectivement, ça s’est plutôt bien passé. Avant, je me disais «tourner comme ça en rond, c’est pas drôle», mais j’ai compris que c’était beaucoup plus complexe que cela en a l’air. Il faut pas mal faire jouer le cerveau! Néanmoins, la voiture fait beaucoup: si elle est mal réglée, il ne faut pas jouer au héros, il faut rouler «tranquille» et attendre. C’est le genre de piste qu’il faut respecter. Mais je me suis bien amusé!
Avez-vous décidé de vous installer aux Etats-Unis?
On a acheté une maison pas loin de Miami, on part en décembre. Les enfants – Sacha, Simon et Camille – sont super motivés, même si ce n’est pas simple. On a passé un mois et demi en famille cet été à voyager entre les courses dans mon motorhome, ils n’ont vu qu’une partie de la carte postale, mais je ne suis pas inquiet. Si les parents sont heureux, ils le seront aussi. Il y a une école française à Miami qui nous permet de les garder dans le cursus scolaire, comme ça si on veut rentrer un jour, cela ne posera pas de problème. On a gardé la maison près de Nyon, au cas où. Mais ce n’est pas dans notre intention. Je n’ai aucun regret, au contraire, je suis très content. C’est un nouveau chapitre qui s’ouvre.
Continuez-vous à regarder les GP?
Bien sûr, et avec grand plaisir! C’est intéressant de voir enfin une bagarre devant. Sur la polémique Verstappen-Hamilton, je préfère garder mon opinion pour moi, mais avec du gravier ou de l’herbe en bord de piste, ce serait réglé. En IndyCar, celui qui fait l’extérieur force le passage et celui qui est à l’intérieur cède. Tu ne finis pas une course sans une marque de pneus sur la carrosserie. Et c’est ce que les gens attendent, je crois, non?