Les lettres «GT» résonnent fort, dans l’univers Porsche. Très fort même, quand les moteurs des GT3 et GT4 terminent leur frénétique ruée à 8000 voire à 9000 tr/min. Toutefois, c’est leur agilité de fauve qui expédient ces pistardes raffermies et allégées dans le panthéon des Porsche les plus désirables. Alors, quand Zuffenhausen appose ce noble lettrage sur le Cayenne, l’envie d’hurler au sacrilège est forte pour les puristes. Qu’ils s’épargnent leurs cordes vocales, car le Turbo GT – sommet de la gamme Cayenne – n’appartient pas à la lignée des GT2, GT3 ou GT4; il en partage juste quelques gènes. Pour éviter tout risque de blasphème, Porsche a donc créé la série des Turbo GT; une façon de reprendre certaines recettes des GT, mais sans galvauder l’appellation.
Effectivement, pour la légèreté, cela débute plutôt mal, car le Turbo GT n’est, à 2220 kg, pas plus léger qu’un Turbo «tout court». Il n’est pas non plus le Cayenne le plus puissant de la gamme, il s’incline, avec 640 ch, face au Turbo S E-Hybrid (680 ch). Oui, mais le Turbo GT, débarrassé de la partie électrique, pèse 300 kg de moins que la variante PHEV; ses performances l’expédient effectivement au sommet de la meute des Cayenne. Et de loin: Zuffenhausen promet un 0 à 100 km/h anéanti en 3,3 s, l’élan se fracasserait ensuite sur le mur des 300 km/h. Son tour effectué 7’38’’9 au Nürburgring (20,832 km) – vérifié par un huissier – en ferait le plus rapide des SUV, et il serait aussi plus véloce que des sportives consacrées: Porsche chronométrait en 2012 une 911 Carrera S (991) en 7’38’’, sur le tracé de 20,6 km de l’Enfer vert.
Entre visible et invisible
Pour arriver à ce résultat spectaculaire, les sorciers de Zuffenhausen ont fait boire au Cayenne Turbo un filtre de sportivité. Le colosse s’est ainsi abaissé de 17 mm, tandis que ses suspensions se sont raffermies de 15%. Les magiciens ont aussi mis la main au contrôle électronique de stabilité (PDCC) et à l’angle de carrossage du train avant, augmenté de 0.45° vers l’intérieur. Ces transformations sont certes invisibles à l’œil nu, mais ne croyez pas que le Turbo GT est un timide: il exhibe ses aspirations belliqueuses via l’énorme double canon central en titane, à l’arrière. Que l’échappement devienne bleu sous l’effet de la chaleur est anecdotique, les 18 kg que ce matériau permet d’épargner le sont nettement moins. Le regard est aussi attiré par l’aileron trônant au sommet du toit, orné d’ailettes latérales. Selon Porsche, les retouches aérodynamiques du Turbo GT augmenteraient l’appui de 40 kg, mais Zuffenhausen se garde bien de nous révéler la valeur absolue.
On le comprend, la griffe «Turbo GT» n’a pas défiguré l’extérieur, et c’est encore plus vrai à l’intérieur. Certes, les logotypes brodés sur les sièges semi-baquets vous rappelleront bien que vous avez êtes bien assis dans le plus extrême des Cayenne; toutefois, si l’on exclut l’emploi abondant d’Alcantara, la caractérisation s’arrête là.
Le Turbo GT, en chef de file de la gamme Cayenne, a droit tout de même à une primeur: c’est à lui que revient l’honneur d’inaugurer la sixième génération du système d’infodivertissement de Porsche (PCM). Les nouveautés se situent à l’arrière de l’écran de 12,3″, à la résolution flatteuse: les puces calculent plus rapidement, des mises à jour arrivent en continu via internet (over-the-air) et la connectivité avec le smartphone, Android ou Apple, est augmentée. On se balade prestement dans les menus et sous-menus du PCM, mais on se perd parfois dans le dédale des options. Le système de reconnaissance vocale amélioré, qui comprend des phrases du langage naturel, comble cette faille, partiellement: les «oreilles» du PCM ne sont pas encore aussi réceptives que les meilleurs systèmes de reconnaissance vocale du marché.
Sauvagerie inattendue
Nos oreilles veulent plutôt s’abreuver des notes du V8 routier le plus puissant jamais produit par Porsche. Le 4-litres biturbo de 640 ch s’éveille dans un long râle sourd, mais on se méfie: la marque de Zuffenhausen est passée maître dans la multiplication de variantes assez peu différenciées entre elles. On se dit que ce Turbo GT devrait être une version légèrement plus énervée que le Turbo «tout court», mais c’est tout. Quelle grossière erreur. A l’écrasement de la pédale, sur asphalte mouillé, le Cayenne Turbo GT rue brutalement de l’arrière, se met de travers, il faut tenir fermement le volant des deux mains pour contenir la sauvagerie du SUV allemand. Intrigué par ce coup de semonce, on provoque le Turbo GT sur un parcours sinueux, là où il devrait être mis en difficulté par sa masse et son gabarit. Là encore, surprise: ce mammouth routier se dandine entre les virages à la façon d’un guépard. La Cayenne Turbo GT gigote, change furieusement d’appui, se rue frénétiquement à la corde des courbes, paraît constamment en ébullition; cette fougue est contagieuse, impossible de réprimer un sourire. Oui, on s’éclate à bord d’un Cayenne, qui l’eût cru!
Ces quelques retouches expertes ont suffi à transfigurer le visage du Cayenne, réussissant à gommer son poids pachydermique. Toutefois, cette prestation ébouriffante ne serait pas possible sans le volcan scellé sous le capot. Le V8 biturbo entre en éruption dès les premiers tours de vilebrequin et déverse un feu dévastateur jusqu’au rupteur, sans un signe de faiblesse. Le V8 ne reprend son souffle que quelques instants, soit le temps qu’il faut à la boîte automatique pour engager l’engrenage suivant, avant de poursuivre sa charge indomptable. Malgré ce déchaînement de violence, la transmission intégrale n’est pas dépassée et parvient à transmettre cette véhémence à la route, plutôt qu’en fumée. Seuls les freins – grâce à des étriers à dix pistons et aux énormes disques carbo-céramique – parviennent à briser cet impétueux élan, de façon sidérante: 32,7 m ont suffi pour arrêter le Turbo GT depuis 100 km/h, selon nos mesures, une distance qui serait honorable pour un coupé sportif. Bien sûr, lorsqu’on les martèle, un affaiblissement commence à apparaître. Au chapitre des «cela pourrait être mieux», ajoutons la direction: bien qu’elle soit très mordante, elle pourrait remonter encore plus d’informations. La consommation, mesurée à 11,2 l /100 km sur notre parcours standardisé ou 14,8 l/100 km en moyenne, paraît à première vue élevée, mais on parle tout de même d’un ogre de 640 chevaux. Enfin, il y a le concept de «SUV coupé sportif», qui reste absurde en soi. Le Cayenne Turbo GT n’échappe pas à ce blâme, mais s’il faut que cette catégorie existe, alors qu’elle soit peuplée de représentants aussi exceptionnels que le SUV de Zuffenhausen.
Résultats
Note de la rédaction 84/100
moteur-boîte
Les 3,6 s relevés sur le 0 à 100 km/h en disent long: du moteur, jusqu’à la transmission, en passant par la boîte, chaque élément effectue son travail de façon spectaculaire. Poussée ébouriffante.
trains roulants
Le moteur est remarquable, mais le réglage des trains roulants GT est la meilleure partie du Cayenne Turbo GT. L’agilité est au sommet pour le genre, sans sombrer dans l’excès de fermeté. Du grand art.
Habitacle
Le système d’infodivertissement a été revu, mais n’a pas corrigé la structure alambiquée des menus des précédentes versions. Important à savoir, le Turbo GT n’est disponible qu’en 4 places.
Sécurité
Les aides à la conduite adoptent un paramétrage peu intrusif, bienvenu sur ce genre de véhicule. La puissance de freinage est dantesque.
Budget
A plus de 250 000 Fr., le Turbo GT fait payer cher son excellence. Porsche évite au moins, sur cette version, les listes d’options infinies.
Verdict
Même s’il n’appartient pas à la famille GT, le Cayenne Turbo GT ne déshonore pas l’appellation. Tout au contraire: les quelques changements apportés aux trains roulants par les magiciens ont suffi à transfigurer le comportement routier du Cayenne, le rendant incroyablement agile, mordant et, surtout, amusant. Une prouesse qui propulse le SUV allemand parmi les références du genre.
Vous trouverez le fiche technique de ce modèle et les mesures effectuées par la RA dans la version imprimée et dans le e-paper.