La première fois que l’on prend place dans l’Emira, l’habitué des productions de Hethel remarquera d’emblée que l’embarquement est beaucoup moins «physique» que d’habitude; monter à bord n’a plus grand-chose de particulier. Non, l’Emira est une voiture de sport adulte, à l’ergonomie sophistiquée. Elle donne une impression de qualité, comme si elle avait été faite d’une seule pièce et semble bien mieux conçue que ses aînées. Certes, ici aussi, de nombreux composants sont issus de la grande série, à l’instar des commodos venant de chez Volvo – autre marque appartenant à Geely – mais ce lien de parenté n’a rien de dérangeant. Un autre changement notable consiste dans la sensation d’espace. Osons la comparaison avec une chaussure de sport rodée: on est bien maintenu, mais on s’y sent à l’aise. En outre, la plage de réglage des sièges en longueur est plus grande que jamais pour une Lotus. Fini le temps où ceux qui dépassaient 1,75 m (soit la taille du fondateur de Lotus, Colin Chapman) avaient de la peine à caser leurs cannes!
Lotus indique clairement que l’Emira devrait attirer de nombreux nouveaux clients chez Lotus; il s’agirait même de 70 à 80% des acheteurs de ce modèle! L’époque où la conduite d’une Lotus était réservée à une communauté de fanatiques de la marque de Hethel doit être révolue. Quelques tours dans la campagne anglaise et sur la piste d’essai de Lotus ont permis de savoir si l’Emira y parviendrait. Cependant, commençons tout d’abord par faire le tour du propriétaire.
Embourgeoisement
Destinée à un plus large public, l’Emira a dû se résoudre à moins de radicalité et davantage de pragmatisme. Effectivement, elle tente la gageure de combiner les éléments d’une voiture «normale» avec les caractéristiques particulières d’une Lotus. Il en résulte d’inévitables compromis, tant au niveau de l’esthétique que du son par exemple. A ce sujet, les vocalises du V6 sont nettement atténuées; il ne faut plus s’attendre à de violentes éructations telles que celles de l’échappement en titane de l’Exige Cup par exemple. Cependant, il suffit d’appuyer sur la touche Sport pour qu’une agréable mélodie se dégage des deux grosses sorties d’échappement. L’Emira inaugure aussi un système d’infodivertissement avec écran tactile. Cela dit, il est réjouissant de constater que Lotus a conservé des boutons pour l’audio ou la climatisation notamment, ce qui permet au pilote de rester concentré sur la route. D’ailleurs, cette nouvelle Lotus est étonnamment facile à manier, et ce dès les premiers kilomètres. La direction est désormais assistée, mais les ingénieurs anglais ont insisté pour que son mécanisme soit toujours constitué d’une pompe hydraulique entraînée par le moteur, les directions assistées électriques étant trop avares en retours de sensations selon la firme de Hethel. Par conséquent, pas d’assistance au maintien de voie, qui ne ne fonctionne qu’avec des directions assistées électriques, mais cela est le dernier des soucis pour les hommes de Lotus. La suspension est composée à l’avant comme à l’arrière de doubles bras transversaux. Ceux-ci sont désormais faits de pièces en aluminium coulé sous pression et non plus des tubes soudés comme sur l’ancienne génération d’Elise/Exige. Déjà visuellement, cela semble beaucoup plus robuste qu’auparavant – mais aussi plus lourd. De manière générale, comme l’a montré une visite de la toute nouvelle ligne de production à Hethel, cette Emira paraît nettement plus aboutie. Il faut ainsi dire adieu à une certaine élégance de construction, à cette fascinante réduction à l’essentiel qui distinguait cette marque. De nombreux composants, comme le hayon arrière ou l’arceau de sécurité, sont beaucoup plus complexes que sur les précédents modèles. De plus, contrairement à ces derniers, il n’y a pas d’aluminium nu dans cette nouvelle sportive, l’habitacle étant entièrement revêtu de moquette, d’Alcantara ou de cuir. Avec la modernité s’en va le charme des portières qui fermaient mal et de l’étanchéité douteuse entre les vitres latérales et le montant latéral amovible des Elise. Tout cela tient du passé avec l’Emira! Aura-t-on tout de même droit à une version ouverte? Rien de tel n’est prévu, du moins pour le moment, nous dit-on.
Pistarde taillée pour la route
Malgré son poids de plus de 1,4 tonne, cette sportive à moteur central se balance de virage en virage avec une facilité déconcertante. Elle s’avère très vive et donne cette immédiate sensation de lien direct entre le pilote et la route, que Lotus a développée jusqu’à la perfection depuis des décennies. D’ailleurs, à Hethel, on n’est pas peu fier du résultat: «S’il y a quelqu’un qui dispose de ces compétences pour régler parfaitement une voiture pour la route comme pour le circuit, c’est bien nous.» Cela pourrait passer pour de la fanfaronnade, mais il faut reconnaître qu’ils n’ont pas vraiment tort. Grâce à son V6 à compresseur, l’Emira semble disposer d’un moteur de cylindrée nettement plus élevée, bien que le 3,5-litres ne soit déjà pas un petit moulin à vrai dire. Et si le génial mécanisme apparent du levier de vitesse est hélas désormais caché, on est heureux d’avoir une boîte manuelle sur l’Emira. Son court débattement ainsi que sa grande sensation de précision font le bonheur du conducteur. Il en va de même pour les freins, certes conventionnels en acier, mais qui font davantage que de remplir leur rôle, comme nous l’avons constaté sur la piste d’essai. Lotus appelle sa technologie «hot brakes», un nom plutôt contre-intuitif: effectivement, les freins ne sont jamais censés atteindre plus de 600 degrés. Pour y parvenir, l’Emira dispose d’un système de circulation d’air sophistiqué sur et dans la voiture. Russell Carr, le designer, appelle cela une «conception perméable de la carrosserie.» La supercar électrique Evija – ou Type 130 – est l’exemple le plus parlant de ce design, avec ses larges tunnels d’air qui débouchent sur la face arrière.
Il ne fait aucun doute que ce que l’Emira peut faire sur la route est impressionnant, mais c’est sur la piste qu’on attend une Lotus, du moins par les acheteurs traditionnels. Et là aussi, la Type 131 n’a pas déçu. Elle s’élance avec un son rauque, s’engouffre dans la première combinaison de virages et ne se laisse pas du tout déstabiliser lorsqu’il s’agit de réduire la vitesse et de tourner avant le premier grand virage, malgré les pneus et les suspensions de type «Touring» plutôt que course. Même avec les aides à la conduite coupées, l’Emira reste docile, mais il faut empoigner le volant de façon plus virile qu’avec les Elise ou Exige. Le comportement de ces dernières ne peut être imité ou égalé par aucun châssis, aussi bon soit-il. Cela ne veut pas dire que l’Emira est décevante sur la piste; au contraire, là aussi, elle permet à un plus large public d’accéder à l’univers de Lotus, mais on aimerait secrètement retrouver l’insolence de ses deux prédécesseurs, leur immédiateté et leurs sensations sans filtre.
L’épreuve de la piste laisse en effet transparaître les limites de l’Emira, mais la voiture ne donne jamais l’impression d’être dépassée par les événements. Par sa prise en main facile, l’Emira flatte ceux qui pensent être de vrais pilotes. Elle les rappellera à l’ordre quand ils se seront surestimés. Par exemple, lors du freinage à la limite d’adhérence en direction d’une chicane, la voiture a commencé à s’agiter. Plutôt qu’un paisible freinage contrôlé, il a fallu batailler pour arriver à ralentir l’auto en toute urgence. La Lotus vous signale donc vos erreurs, mais elle fait en sorte que vous vous en sortiez indemne. Comme le nom Emira signifierait «celui qui commande», il faut s’estimer heureux qu’elle ait de si bonnes intentions.