Six ans: c’est le temps qu’il aura fallu au milliardaire anglais Jim Ratcliffe pour passer de la discussion de comptoir au véhicule de série bien tangible. Si c’est un laps de temps relativement standard pour un constructeur établi, c’est en revanche une prouesse pour le néophyte qu’était l’entreprise pétrochimique Ineos en 2017. En matière de construction automobile, l’enseigne anglaise n’y connaissait effectivement rien. Bien conscient de cela et de l’ampleur de la tâche à réaliser, Jim Ratcliffe a vite compris l’intérêt d’externaliser le développement de son véhicule. Il décide alors de s’appuyer sur les compétences et l’expertise du plus important sous-traitant automobile de la planète, l’entreprise autrichienne Magna Steyr, qui possède des bureaux d’étude en Allemagne, à Stuttgart. Pour faciliter les discussions, Ratcliffe transfère la partie ingénierie d’Ineos Automotive à Böblingen, dans la banlieue de Stuttgart, et ordonne à ses ingénieurs de faire appel aux meilleurs équipementiers.
Ainsi, ce sont les firmes allemandes Bosch, Recaro et ZF qui se chargeront de fournir respectivement la direction hydraulique, les sièges et la boîte de vitesses automatique à convertisseur de couple à huit rapports, les italiens Carraro et Brembo qui s’occuperont des essieux rigides et des freins, le mexicain Tremec de la boîte de transfert et l’espagnol Gestamp du châssis échelle. Quant aux moteurs essence et diesel, tous deux des six-cylindres en ligne de respectivement 285 et 249 ch, c’est BMW qui se charge de les fournir. Pour assembler tout cela, Ineos a acquis fin 2020 l’usine Smart à Daimler, située à Hambach, en Lorraine, en France. L’Ineos Grenadier, qui tire son nom du pub dans lequel il a été imaginé, est véritablement un véhicule multi-culturel.
Plaire au patron
Si le Grenadier a surtout été pensé comme un outil commercial devant être rentable, il a également été imaginé comme une voiture bien finie, destinée à plaire au patron, passionné de véhicules tout-terrain. Cela se ressent au premier coup d’œil; bien que le Grenadier ne soit que le premier produit d’Ineos – un second, électrique, est en chantier –, le 4×4 jouit d’une excellente qualité de fabrication. A l’extérieur, sa carrosserie, taillée à la serpe et composée de panneaux d’aluminium, d’acier (mais malheureusement aussi de quelques petites pièces en plastique) fait la part belle au pragmatisme. Clairement inspirée de l’ancien Defender, la forme carrée permet d’optimiser l’espace à bord tandis que les roues placées aux coins du châssis permettent de réduire les porte-à-faux et d’améliorer les capacités de franchissement du véhicule – nous y reviendrons.
Concrètement, dans sa version «Station Wagon», le tout-terrain mesure 4896 mm de long (en incluant la roue de secours fixée sur le coffre), 1930 mm de large et 2036 mm de haut – à noter que cette dernière valeur l’exclut à 36 mm près de la plupart des parkings souterrains. Quant à son empattement, il s’élève à 2,92 m.
Analogique plutôt que numérique
L’habitacle du Grenadier privilégie autant que possible les technologies analogiques et mécaniques. La console centrale, bien que très originale dans son design, fait la part belle aux commandes physiques pour manipuler la climatisation. Au-dessus, en option, une jolie boussole numérique indique l’orientation ainsi que l’altitude. Sur la planche de bord, un écran de 12,3 pouces se commande via une molette située sur la console centrale ou de manière tactile. Unique écran présent à bord, il combine les fonctions d’infodivertissement et d’instrumentation; la vitesse, le rapport de transmission engagé et le niveau de carburant côtoient ainsi les médias, l’application téléphonique. C’est regrettable car cela contraint par exemple le conducteur à dévier son regard de la route pour contrôler sa vitesse. Quant à la navigation, elle mériterait bien un écran à elle seule tant elle est essentielle dans ce genre de véhicule, pensé pour les longs voyages au milieu de nulle part. A noter à ce propos que l’Ineos ne propose pas de système de navigation à proprement parler, mais seulement Android Auto et Wireless Apple CarPlay. Il est ainsi possible de projeter Waze, Google Maps ou Gaia lorsqu’il y a du réseau.
En revanche, lorsqu’il n’y en a plus, comme c’est bien souvent le cas au milieu du désert, cela pose problème. Heureusement, Ineos se rattrape avec son système de navigation Pathfinder. De série sur tous les modèles, ce système se sert de coordonnées préalablement insérées dans une application pour guider le conducteur. C’est certes un gadget amusant mais qui ne vaut pas un vrai GPS en matière de fiabilité de navigation. Clou du spectacle puisque tout simplement superbe, la platine de commande du pavillon s’inspire très clairement du secteur aéronautique. Elle réunit toutes les commandes et fonctions tout-terrain ainsi que certains accessoires (lire encadré). Le dossier incliné et l’espace laissé aux jambes des passagers est suffisamment important pour leur permettre de voyager confortablement. C’est moins le cas dans la version utilitaire, dont la banquette est avancée de 70 mm et le dossier moins incliné (à noter qu’une version utilitaire à deux places sera également proposée). Dans son coffre, le Grenadier offre un volume de chargement de 1152 litres. Et une fois la banquette arrière 60/40 rabattue, cet espace passe à 2035 litres! On y accède via deux battants asymétriques 30/70. Malheureusement, c’est la petite porte, sur laquelle repose l’échelle, qui a la priorité d’ouverture sur la seconde, qui soutient la roue de secours.
C’est assez regrettable car l’étroitesse de la première exige souvent l’ouverture de la seconde. Interrogé sur cette tare, les ingénieurs ont justifié qu’un tel agencement permettait d’accéder au coffre, même lorsqu’une remorque était attelée. Ils ont en outre précisé que cette configuration était une recommandation de Jim Ratcliffe en personne. Le patron aurait d’ailleurs suivi le développement de sa voiture jusque dans les moindres détails. C’est d’ailleurs lui qui est à l’origine du pack «cuir de selle», qui se caractérise par sa patine naturelle.
Sur la route…
Les 6-cylindres en ligne s’ébranlent grâce à une clé de contact qui s’insère dans la colonne de direction, à l’ancienne. Voilà qui est appréciable. Les fauteuils Recaro, qui permettent aux passagers d’entrer et de sortir facilement du véhicule grâce à leurs coussins plats, sont confortables. Une fois le frein à main mécanique desserré et le levier de vitesses BMW enclenché, le 4×4 anglais s’ébroue. La pédale de droite est peu réactive, ce qui a l’avantage de permettre de bien doser les accélérations. Indépendamment du moteur retenu, celles-ci sont franches. Qui plus est, elles sont linéaires grâce à l’excellente boîte automatique. Quant au freinage, assuré par le système Brembo, il est parfaitement dosé. Bref, jusque-là, il n’y a rien à redire. Néanmoins, cela ne dure pas très longtemps. Au premier virage, le véhicule révèle ses deux principaux défauts. En premier, le système de direction à circulation de billes qui comprend une assistance hydraulique a surtout été pensé pour la conduite offroad à faible vitesse, et absolument pas pour la conduite sur route à plus vive allure. C’est pour ça qu’il faut tourner 3,85 fois le volant pour rallier les deux butées. Ce n’est pas tout, cette direction, qui est dénuée du moindre clavetage (effort à fournir pour sortir du point milieu), ne reprend pas naturellement sa position originelle une fois le virage négocié. Ainsi, le conducteur ne peut pas lâcher le volant après le virage. Bien au contraire, il doit le conserver en main afin de ramener «manuellement» les roues dans la bonne direction. Voilà qui en surprendra assurément plus d’un. Vient ensuite le problème du poids. Dans leur volonté de réunir tout ce qui se fait de mieux, les ingénieurs ont visiblement oublié de tenir la masse du véhicule à l’œil. Et l’aiguille de la balance de grimper jusqu’à 2700 kg! Un poids gargantuesque (supérieur à la concurrence, Mercedes-Benz Classe G inclus) que les suspensions passives, composées de ressorts hélicoïdaux, de barres antiroulis et d’une barre Panhard, ont bien du mal à maîtriser dans les courbes. Et encore, les véhicules d’essai n’étaient pas chargés. En revanche, le confort à bord est satisfaisant dans la plupart des situations. Se pose également la question du comportement en terre hostile. La Revue Automobile a donc emmené la bête dans la boue, les pierres et le sable dur.
…et en dehors
Et là, la chaîne cinématique du Grenadier, doté d’un blocage de différentiel central de série et de différentiels avant et arrière optionnels le rend inarrêtable, et c’est peu dire. La boîte de transfert mécanique (située à côté du levier de vitesses) propose au véhicule deux rapport de pont différents, lesquels peuvent chacun décider si oui ou non ils souhaitent bloquer le différentiel central. Aucun franchissement de pont ou d’obstacle, qu’il s’agisse d’une bute ou d’un gué n’a pu nous résister lors notre essai hors des routes, dans l’environnement naturel du Grenadier. Et pour cause, le véhicule profite d’une garde au sol de 264 mm, d’un angle d’attaque de 35,5°, ventral de 28,2° et de fuite de 36,1°. La profondeur de gué s’établit à 800 mm. Reste à déterminer comment le véhicule, effectivement très lourd, se comportera dans le sable mou, où le poids demeure un facteur déterminant pour éviter de s’enliser.
Facturé 82 290 francs et 70 990 francs en version «Station Wagon», le Grenadier est non seulement l’outil idéal et des familles nombreuses en quête d’aventures mais il est aussi idéal pour les entrepreneurs. Il devrait en outre faire le bonheur de certaines institutions; il ne serait pas étonnant de le voir devenir l’enfant chéri de certains services du feu et autres armées en Europe, grâce à ses nombreux atouts, parmi lesquels il faut encore citer sa charge utile avoisinant les 900 kg (sur certaines versions) et sa capacité de remorquage freinée de 3,5 tonnes. Autant de qualités qui inscriront à coup sûr ce nouveau 4×4 sur la liste des franchisseurs les plus emblématiques du moment.
Astuces et accessoires à gogo
C’est l’un des points fort du Grenadier: l’enseigne anglaise propose en option ou en seconde monte une gamme complète d’accessoires comme le snorkel, les deux treuils avant (dissimulés derrière le pare-choc) et arrière (à ajouter manuellement sur un support ad hoc), les marchepieds latéraux, la table accolée à la portière de coffre ou encore une rampe lumineuse sur le toit. A noter que cette dernière se raccorde directement à une prise prévue à cet effet, directement sur le toit; il n’est donc pas nécessaire de percer la carrosserie. Trois autres prises, elles aussi situées sur le pavillon, permettent de rajouter d’autres accessoires électriques. De plus, la structure renforcée du toit du Grenadier le dote de capacités de chargement exceptionnelles. Des barres de toit intégrées et des bandes protectrices en caoutchouc sont incluses de série et ont été conçues pour permettre aux propriétaires de fixer facilement du matériel.
Quant à ceux qui souhaitent charger régulièrement des objets longs, impossibles à caser dans la voiture, ils peuvent opter pour une galerie de toit, qui supporte un poids maximal de 420 kg à l’arrêt et de 150 kg en mouvement. La ceinture de caisse est fonctionnelle, elle est équipée de protections antichocs incluses de série. En option, les rails latéraux permettent de fixer de nombreux éléments développés par d’autres accessoiristes, Ineos encourageant également ses partenaires à créer leurs propres produits.
Vous trouverez la fiche technique de ce modèle dans la version imprimée et dans l’e-paper.