Elle est la sportive signée Gordon Murray Automotive la plus lourde. Toutefois, à 1103 kg, soit 18 kg de plus que le coupé, la T.33 Spider est tout sauf un pachyderme. Son rapport poids-puissance reste en-dessous de 2 kg par cheval – c’est d’ailleurs le seul chiffre qui compte pour le professeur Gordon Murray: «La course aux chevaux ne m’intéresse pas, pas plus que les valeurs d’accélération ou de vitesse maximale. Ces chiffres n’ont rien à voir avec le plaisir de conduire. Nos voitures doivent offrir l’expérience de conduite ultime. Et, croyez-moi, on ne peut pas dire qu’elles sont lentes.»
Un propulseur rêvé
Pour remettre les choses dans l’ordre, la T.33 Spider est le troisième membre de la famille Gordon Murray Automobile (GMA), après l’hypercar T.50 (663 chevaux pour 986 kg) et la T.33 (613 ch/1085 kg). Ces sportives portent le nom du célèbre ingénieur qui a secoué la Formule 1 avec ses trouvailles – dont la plus célèbre est la Brabham avec l’aspirateur pour l’effet de sol. On se souvient également de sa McLaren F1 de 1992, considérée par de nombreux amoureux d’automobiles comme la plus désirable des sportives, même plus de trente ans après sa sortie. Des voitures qui ont propulsé Gordon Murray, né à Durban (Afrique de Sud) en 1946, au rang de légende pour les passionnés. Et même s’il a suivi une formation d’ingénieur à l’Université de Durban, il est avant tout un «autodidacte», dans tous les sens du terme: «Je dessinais déjà des douze-cylindres quand j’étais adolescent. J’ai ensuite modifié chaque aspect de ma Ford, le moteur, l’aérodynamique et le châssis. J’ai beaucoup appris comme ça!»
L’amour du douze-cylindres accompagne Murray depuis longtemps: «Dans les années 70, j’étais au Mans, dans la ligne droite de la Mulsanne. J’ai alors entendu le son des V12 Matra. C’est là que j’ai décidé de concevoir aussi une voiture avec douze cylindres. Lorsque j’étais chez Brabham, j’ai beaucoup travaillé avec les douze-cylindres d’Alfa Romeo, ce qui m’a aussi influencé. Je voulais aussi un moteur comme ça pour la McLaren F1. Un V12 de 4,5 litres signé Honda était en discussion, mais le projet est tombé à l’eau. Grâce à la collaboration de Paul Rosche de BMW, j’ai pu réaliser mon rêve, mon idée du moteur parfait.» Le propulseur en question cubera à 6,1 litres et développera 627 chevaux au minimum.
L’allègement, un «état d’esprit»
Les GMA T.50 et T.33 sont également équipées d’un V12, grâce à une collaboration avec Cosworth. Ce moteur de 4 litres tourne jusqu’à 11 500 tr/min, développe 166 ch/litre dans sa version la plus extrême et pèse à peine 178 kg. Hiérarchie oblige, le douze-cylindres de la T.33 s’est assagi, le rupteur est fixé à 11 100 tr/min, tandis que la puissance et le couple maximum sont délivrés respectivement à 10 250 tr/min et 9500 tr/min. Ce caractère un peu moins extrême – tout est relatif – convient mieux au spider: «J’aime la sonorité du douze-cylindres, mais aussi ses vibrations limitées. Sa réactivité aussi n’a rien à envier aux autres moteurs.» Seul un moteur atmosphérique est capable d’une réactivité répondant aux exigences de Murray, lui qui n’a jamais été un fan de la suralimentation. Cette quête du purisme se retrouve aussi dans la transmission aux seules roues arrière, qui passe par une boîte manuelle à six rapports Tremec. Toutefois, plus encore que les moteurs V12, le véritable «dada» de Murray, c’est la chasse aux kilos: pour lui, c’est un véritable état d’esprit à maintenir tout le long du projet.
Le résultat est spectaculaire, GMA met sur roues une sportive à moteur V12 pèsant 400 kg de moins qu’une Ferrari Monza SP1. C’est quoi le secret, professeur? «Il faut être focalisé sur cet objectif. Aucun de nos 400 collaborateurs ne fait de compromis, tout comme nos fournisseurs. Nous faisons attention à chaque gramme! On arrive 1100 kg avec le Spider seulement si on se fixe des objectifs très précis dès le début et que l’on fait tout pour l’atteindre. Nous savions dès le départ que nous ferions une version découvrable de la T.33, nous en avons tenu compte dès le début». Quel aurait été le poids de la McLaren F1 si Woking avait pu mettre la main à l’époque sur les matériaux actuels? «Nous serions certainement restés en dessous d’une tonne, mais à l’époque, il n’y avait pas encore besoin d’autant d’électronique dans une voiture», reconnaît Murray.
Inspiré par les plus belles
GMA avait planifié sa T.33 Spider, mais pourquoi diable les Anglais ont-ils cette passion pour les spiders, roadsters et cabriolets? On ne peut pas vraiment dire que ce pays soit connue pour son ensoleillement. «Je ne sais pas à quoi cela tient, rit Gordon Murray. Peut-être que l’on veut simplement profiter au maximum des trois jours par année où il fait beau.» De quel modèle s’est-il inspiré pour son spider? «J’adore les voitures de course des années 60, surtout les italiennes. Pour moi, la Dino 206 SP de 1966 est l’une des plus belles voitures de tous les temps, son design est devenu iconique». Gordon Murray cite encore les différentes Abarth qu’il possède, si légères et si belles. Il a aussi quelques louanges pour la Lamborghini Miura, une voiture qui a provoqué un séisme dans le monde automobile, à sa sortie.
Il réserve aussi quelques mots pour le moteur V12 «Colombo» – du nom de l’ingénieur qui l’a conçu – de Ferrari. «Un moteur ne doit pas seulement être mélodieux, il doit aussi être beau». Le binational sud-africain et britannique sait aussi qu’il devra passer par l’électrification: «Oui, nous devrons y recourir, les lois l’exigeront.» Il voit en revanche dans les carburants synthétiques une solution «intéressante, dans quelques années, pour le parc de voitures existantes», mais il ne pense pas que des voitures seront «spécialement développées» pour les carburants de synthèse.
Des exemplaires limités
La T.33 Spider ne sera produite qu’à 100 exemplaires, qui sont certainement déjà tous vendus, comme toutes les autres GMA. On ne parle pas de prix avec Gordon Murray, il préfère s’épancher sur les possibilités de personnalisation. Pas étonnant quand on connaît son goût pour les chemises hawaïennes ou les chaussettes bariolées. On se souvient encore des sandales en plastique transparentes avec lesquelles il se baladait dans les paddocks de F1. Toutefois, il porte en réalité bien plus souvent des costumes.
Bientôt une petite voiture électrique?
Cher Monsieur Murray, vous avez démontré votre talent pour les supercars. Qu’en est-il des citadines? Murray prend alors un air très sérieux: «Nous, à savoir GMA, GMD (Gordon Murray Design) et GMT (Gordon Murray Technologies), sommes sur le point de présenter une voiture électrique de 4 mètres. C’est une segment B, mais son habitacle est celui d’une auto de segment C. La voiture pèsera environ 1000 kg avec les batteries, je suis impatient de voir comment elle sera accueillie». La prudence est de mise, car Gordon Murray a déjà connu des projets annulés à la dernière seconde: il avait préparé une voiture de ville deux places pour Yamaha, qui était prête à aller en production. Un nouveau management stoppera tout, au dernier moment. Cette mésaventure ne devrait pas se produire chez GMA, après tout, c’est bien son nom qui figure au sommet de l’usine sise à Highhams Park, au sud-ouest de Londres.