Cela se fait de plus en plus souvent et, surtout, sur un nombre croissant de véhicules: des préparateurs s’emparent d’une voiture classique, lui arrachent son cœur à combustion et y implantent, à la place, une machine électrique. C’est ce qu’on appelle le rétrofit électrique. Qu’il s’agisse de produits de masse, telles une VW Cox et une Fiat 500, ou de modèles exclusifs, telles une Ford GT40 et comme la Revue Automobile l’a montré la semaine dernière (RA 40/2023), une Mercedes-Benz SL Pagode, le coût d’une telle transformation va de 30 000 à 50 000 francs. Et comme la base vaut elle aussi beaucoup de sous, ce sont généralement plusieurs centaines de milliers qui sont déboursés pour de tels produits.
Tout cela est-il raisonnable? Complètement absurde? Les avis sont partagés. Pour les uns, c’est un moyen de continuer à faire circuler les vieilles voitures; pour les autres, c’est le diable qui s’exprime, le début de la fin de la culture automobile. Le rédacteur du supplément «Classics» de la RA, Martin Sigrist, et Tristano Gallace, chef des essais, ont des points de vue différents, qu’ils livrent ici dans une bataille d’arguments. Alors, pour ou contre?
POUR
En amour, tout est permis
Je peux très bien m’imaginer rouler dans une voiture ancienne motorisée par un cœur électrique. Après tout, elles aussi peuvent déclencher des palpitations de plaisir, en tout cas chez moi. Chez certains puristes, comme ceux qui dirigent la FIVA, l’association faîtière des voitures anciennes, de telles affirmations sont une horreur absolue. Mais pourquoi toujours se soucier de l’avis d’obsédés des numéros de châssis, lorsqu’il s’agit de savoir ce qu’il faut faire ou ne pas faire? Par le passé, cette digne association n’a pas toujours réagi de manière appropriée dans des cas évidents de contrefaçons. Et pourtant, aujourd’hui, cela n’empêche pas cet Opus Dei de l’automobile de jouer le rôle de juge suprême. Les restaurations professionnelles et minutieuses peuvent souvent se transformer en projets d’amateurs, qui nécessitent soit une grande passion pour le bricolage, soit un épais portefeuille (et dans certains cas, les deux). Les pièces de rechange et le savoir-faire autour des vieux moteurs sont rares, chers, voire inexistants, ce qui fait qu’une restauration professionnelle peut rapidement devenir un puits sans fond, en argent et en temps. De nombreux véhicules pourraient tirer de substantiels bénéfices d’une électrification. Selon la motorisation, une VW Coccinelle n’est capable d’atteindre les 100 km/h qu’en chute libre. Et même celles qui y parviennent normalement mettent une éternité pour accomplir cet exercice. Electrifiée, une Cox ferait de l’effet après avoir réalisé un démarrage en trombe, si typique des électriques. Pour les Coccinelles et les autres, l’originalité historique est certes importante, mais une éventuelle perte de valeur due à la transformation n’est pas fondamentale. Dans ces conditions, la variante «E» est donc une option envisageable selon moi, en particulier pour les jeunes amateurs de voitures. La liberté fondamentale que permet l’automobile ne dépend pas de la formule «être ou ne pas être originale», elle commence avec quatre roues, continue avec un volant et se termine par l’essentiel: l’envie d’aller de l’avant. Une transformation électrique professionnelle a un prix, mais elle sera sans doute valable pour toute la vie, voire davantage. Et puis, le résultat est une pièce unique. Des souvenirs d’autrefois associés à une propulsion d’aujourd’hui, un parfum d’intérieur classique combiné à la capacité de se déplacer sans bruit. Entre une utilisation simple, facile et quotidienne et des mains tachées de cambouis, mon choix est vite fait! Les véhicules historiques sont ce que je fais d’eux. Tristano Gallace, en charge du Test Team
CONTRE
On détruit un patrimoine culturel
Les véhicules historiques – pour reprendre le terme utilisé par la «Swiss Historic Vehicle Federation» (SHVF) – sont appelés ainsi parce qu’ils sont des témoins de l’Histoire, de l’origine de notre passion aussi. C’est pourquoi les traces d’usure laissées sur les anciennes sont de plus en plus appréciées, les restaurations totales de moins en moins. La Fédération Internationale des Véhicules Anciens (FIVA), l’association mondiale des véhicules classiques, a tenté de répondre dans sa charte de Turin à la question de savoir jusqu’à quel point une voiture historique devait être conservée dans son état original. Non, cela n’a rien à voir avec les notes de 1 à 5 attribuées de manière très superficielle. Les voitures historiques se partagent entre différents pôles d’intérêts. Beaucoup appartiennent à des particuliers, sont entretenues sans aucune aide publique et sont un bien dont leurs propriétaires peuvent disposer librement, donc modifier, voire démolir. Ces machines ont besoin d’un entretien régulier et parfois de grosses réparations. Dans des cas extrêmes, des composants doivent être remplacés. Certaines classiques sont en outre des objets d’investissement. Le débat sur le climat et le manque de volonté de certaines villes d’aborder objectivement les questions de transport conduisent à la diabolisation de la voiture et, avec elle, de la voiture historique. Les interdictions de circuler menacent et le moteur à combustion est pointé du doigt. Certes, en Suisse, les véhicules anciens ne sont pas (encore) interdits. Mais l’idée de leur retirer l’autorisation de circuler, à eux justement qui fournissent 0,1% des prestations de transport du trafic routier (selon une étude de la SHVF datant de 2020), existe, via notamment le projet d’interdiction des véhicules traditionnels. Faut-il pour autant installer une machine électrique dans notre chère voiture classique? Ici, je considère que cela a autant de sens que de remplacer les peintures contenant du cadmium ou du plomb par des peintures non toxiques sur un tableau de maître. Dans le cas des transformations électriques, on dit parfois que la voiture classique en mauvais état aurait été jetée. Mais en tant que support de pièces, cette base peut encore servir à prolonger la vie d’un classique original. Ceux qui ne peuvent pas profiter de l’expérience globale d’un véhicule classique devraient peut-être se tourner vers quelque chose de moderne, car le choix ne cesse de s’élargir. Ce n’est pas le cas pour les classiques. C’est pourquoi il est important de les conserver, et dans leur intégralité. Martin Sigrist, Rédacteur en Chef du Classics