«Les transports publics, ce n’est pas ma tasse de thé»

Légende du ballon rond, Gilbert Gress ne pourrait se passer de sa voiture. Rencontre avec un homme alerte, drôle et sympathique.

Mais comment a-t-il fait? Fortiche quand même ce Gilbert Gress! Il est 14h15 ce premier mercredi du mois de janvier. Depuis la gare de Saint-Blaise, la vue sur le lac de Neuchâtel et les Alpes compose un décor époustouflant. Non loin des quais, une seule voiture trône sur la petite place de la gare: une Hyundai i30 Fastback N. Elle est grise et s’accorde à merveille au camaïeu de gris qui composent le décor hivernal. Silhouette gracieuse, toit effilé et nez pointé vers la pente, elle semble prête à s’élancer sur la route. Pas mal pour une entrée en matière! Le mythique entraîneur de Xamax aurait-il des talents de publicitaire? Le voilà qui sort de son véhicule, souriant et énergique. Salutation du poing et embarquement: attachez les ceintures! Euh…sauf côté conducteur. Il faut insister un peu pour avoir un éclairage sur la question. «C’est une habitude.» Une explication un peu courte vu l’utilité de ce dispositif de sécurité. «Je la mets de temps en temps pour faire plaisir à la personne à côté de moi.» Un ange passe. On insiste. «Quand même, c’est dangereux de ne pas la mettre, non?» Gilbert Gress évoque deux histoires de personnes brûlées vives dans leur voiture, car elles n’avaient pas pu décrocher leur ceinture de sécurité. Un ange repasse. Evidemment, il a reçu quelques amendes. La dernière remonte à l’an dernier.

Heureusement, côté conduite, l’octogénaire assure. Il roule ni trop vite, ni trop lentement, ses gestes sont sûrs et précis. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, donc. Enfin, pas aux yeux de tout le monde. «Pour ma femme, je roule soit trop vite, soit trop lentement, soit trop à gauche, soit trop à droite. Je pourrais rouler comme un dieu, pour elle, il y aurait toujours quelque chose à dire. Et quand c’est elle qui conduit, elle me dit que je critique beaucoup trop.»

Galanterie cinq étoiles

Trêve de bavardage, nous voici arrivés à l’hôtel Palaffitte, l’endroit choisi par Gilbert Gress pour son interview. Pas de bol, c’est la fermeture annuelle du cinq étoiles. «Ma femme m’avait bien dit que ça risquait d’être fermé. Je n’ai pas vérifié. Les femmes ont toujours raison», rit le Franco-Suisse qui accompagne sa copilote du  moment jusqu’à sa portière. Un geste galant d’autant plus apprécié qu’il est rarissime. Cap sur le prochain cinq étoiles, au centre-ville de Neuchâtel, sans GPS.  L’orientation n’est vraiment pas le point fort de l’ex-entraîneur, il l’avoue. Alors, il lui arrive de faire demi-tour plus souvent qu’à… son tour. A Neuchâtel, il connaît les endroits où éviter ce genre de manœuvre. «Regardez, ici, j’ai pris 100 francs d’amende parce que j’ai fait exactement comme ce conducteur-là! Depuis, je rebrousse chemin plus loin.»

Avec quelque 40 000 km par année, Gilbert Gress est loin d’être un conducteur du dimanche. Il se déplace dans toute la Suisse pour donner des interviews, des conférences, animer des événements et répondre aux sollicitations des publicitaires. Récemment, il a tourné une séquence pour Galaxus. «Evidemment, le covid a tout freiné: les demandes ont baissé et je roule moins.» Et les transports publics, les emprunte-t-il parfois? «Ce n’est pas ma tasse de thé. Et actuellement, les gens sont entassés les uns sur les autres dans les bus ou les trains.» Il y a quelques années cependant, Gilbert Gress a dû se résoudre à prendre le tram. Se rendant à Zürich en voiture, il pensait avoir parqué près du lieu de son rendez-vous. A tort. «J’ai dû sauter dans un tram pour être à l’heure. Je pensais acheter mon billet au contrôleur, mais personne n’est jamais passé…» Il rit encore de cette anecdote, tout en entrant très prudemment dans l’immense parking sous-terrain du centre de Neuchâtel. Le temps de remonter en surface à pied et de constater que le Beau-Rivage est fermé, lui aussi; il ne reste plus qu’à trouver enfin un restaurant ouvert. Le trajet jusqu’au port se fait en marchant.

Gilbert Gress évoque sa vie entre Strasbourg, la ville où il est né et a signé son premier contrat au Racing Club, et Saint-Blaise, à côté de Neuchâtel, où il a joué pour le FC  Xamax, avant d’en devenir l’entraîneur à trois  reprises, durant 15 ans en tout. «Ma femme aimerait vivre à 100% en Suisse,  moi, à 90%. J’aime retourner à Strasbourg. J’y joue au tarot avec mes amis. Je joue aux cartes depuis que je fais du foot. J’en ai passé des heures à taper le carton, durant les déplacements à travers la France. Aujourd’hui, les footballeurs ont des casques sur les oreilles et c’est chacun pour soi.»

De même, les temps ont bien changé concernant le duo «footballeurs-grosses cylindrées». Si aujourd’hui, s’afficher avec des voitures de plusieurs centaines de milliers de francs va de soi, ce n’était pas le cas dans les années 60. Gilbert Gress se souvient. «Je jouais à Stuttgart et je m’étais acheté une Mercedes SL deux places. Le président du club m’a demandé de ne pas venir au stade avec ma sportive. Je devais la parquer à 200 mètres de là, au garage d’un ancien joueur. C’est là qu’un collègue venait me chercher. Le président m’avait dit: ‹Ça ne va pas de soi que tu roules dans une nouvelle voiture, il ne faut pas que les supporters te voient›. Vous imaginez une personne demandant à Neymar ou à Messi de laisser sa voiture à 200 mètres du stade?» rigole l’ancien entraîneur, qui se souvient de la mentalité de l’époque dans le  «Schwabenland»: travailler-économiser-acheter une maison. «C’était leur devise». Si Gilbert Gress a commencé sa carrière de conducteur en Simca  Aronde (lire ci-dessous), il a passé à une Peugeot 504 coupé lorsqu’il a été engagé au VfB Stuttgart, où il a joué quatre ans et demi. «J’étais souvent sur l’autoroute entre Strasbourg et Stuttgart. Les autres joueurs se fichaient de mon auto. Eux roulaient en Mercedes. Un jour, le moteur de ma Peugeot a rendu l’âme. Il n’était pas fait pour ces longs trajets sur l’autoroute.  J’ai acheté une Mercedes, la fameuse que j’ai dû cacher…» Aujourd’hui ambassadeur de Hyundai, Gilbert Gress, qui avoue ne pas trop s’intéresser à la technique et au nombre de chevaux, est un automobiliste heureux. «Pour moi, le plus important, c’est qu’une voiture me plaise et ne tombe pas en panne. Ma Hyundai a de la gueule et elle est agréable à rouler.»

«Le 30 km/h? Certainement pas!»

Le questionnaire de Proust est resté célèbre.
La Revue Automobile propose «son» questionnaire de Prost.

Revue Automobile: Prost, pour vous, c’est qui?

Gilbert Gress: Un coureur automobile déjà. Je connaissais également un footballeur qui s’appelait Prost, formé à l’Olympique lyonnais. Georges Prost était défenseur. Prost, c’était également un savant français. Vous avez le choix…

Votre première fois en voiture?

Mon parrain avait acheté une quatre chevaux et il est venu voir mes parents. A l’époque, il y avait trois automobiles dans la rue où l’on habitait. Il a déposé son épouse et sa belle-mère et m’a dit: «Viens, on va faire un tour!». J’étais tout fier de me promener en auto. A l’époque, les voitures étaient rares. Tout le monde jouait au foot dans la rue. La mienne faisait 1500 mètres de long. On jouait quartier contre quartier. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Il y a trop de circulation.

Votre première voiture?

Une Simca Aronde avec un toit rouge. Je l’ai achetée avec la prime que j’ai reçue lorsque j’ai signé mon premier contrat au Racing club de Strasbourg. J’avais reçu 7500 francs français, soit environ 1200 francs suisses, ce qui n’était pas terrible comme somme. Il faut dire que c’était mon rêve de gamin de jouer dans ce club.

Aujourd’hui, vous roulez en?

Hyundai i30 Fastback N.

Votre voiture de rêve?

Celle que j’ai!  Des voitures de rêve, j’en ai eu. Par exemple, une Porsche 911 Targa 4S. Mais c’est une voiture d’égoïste. Un jour, avec ma femme et ma fille, on est partis en vacances à Juan-les Pins dans cette voiture. Au bout de 10 km, ma fille se sentait tellement enfermée à l’arrière de la voiture, entourée de bagages, que l’on a dû s’arrêter.

Le plus fameux de vos périples en voiture?

J’étais à Marseille et on devait partir au Mans pour un match contre le Standard de Liège. Un cameraman qui nous filmait régulièrement, a proposé d’amener ma voiture au nord pour que je puisse prendre l’avion avec l’équipe. En route, il a cassé la clé dans le démarreur et il a laissé ma voiture vers Paris. J’ai commandé une nouvelle clé, mais elle ne venait pas. Je voulais rejoindre ma femme et mes enfants à Strasbourg. Un gars m’a dit qu’il pouvait faire démarrer ma voiture, en connectant deux câbles. J’ai dit d’accord, et je me suis mis en route. Je traversais une forêt, il faisait nuit noire, lorsque je suis tombé en panne. Heureusement, j’étais arrivé au sommet d’une montée. J’ai laissé la voiture rouler dans la pente. A un moment donné, j’ai vu une lumière sur la droite et deux hommes qui discutaient. Il était minuit moins une et ils allaient fermer la station essence. Ils m’ont loué une voiture. J’ai eu une immense chance, mais je suis resté traumatisé durant des mois.

Un cauchemar en voiture?

Lorsque j’étais entraîneur, un jour, vers 18h, je me suis endormi au volant de ma voiture entre Neuchâtel et Zurich. J’étais fatigué. J’avais voulu m’arrêter dans deux parkings, mais ils étaient fermés pour cause de travaux. Je suis parti sur la droite et j’ai touché la glissière.

Au volant de votre voiture, vous vous sentez…?

A l’aise.

Vivre sans voiture?

Ce n’est pas possible. J’en ai besoin pour faire des courses, aller à des rendez-vous ou donner des conférences, même si les demandes ont diminué depuis le covid. C’est une habitude aussi. A Saint-Blaise, par exemple, je pourrais tout faire à pied: pain, kiosque, courses. Mais à Strasbourg, où l’on vit une partie de l’année, ma boulangerie favorite est à plus de 30 minutes à pied, aller-retour.

Le 30 km/h dans toutes les villes suisses, une bonne idée?

Certainement pas! On risque de s’endormir au volant. Je pense qu’il vaut mieux responsabiliser les automobilistes.

Les voitures sans conducteurs: bonheur ou frustration?

Ce n’est pas mon truc. C’est comme prendre l’avion, cela m’angoisserait. Au volant, au moins je peux décider, je suis le maître. Et qui serait responsable en cas d’accident? Et ces voitures ne sont pas prêtes.

Qui prendriez-vous à coup sûr en auto-stop?

Ma femme va-t-elle lire cet article? Je me souviens que, lorsque je jouais à Stuttgart et que je partais de Strasbourg, 9 fois sur 10, il y avait des auto-stoppeurs au début de l’autoroute, ce qu’on ne voit plus aujourd’hui. Un jour, je me suis arrêté pour une jeune femme. Son copain a alors surgi d’un buisson. Vingt ans plus tard, il est venu vers moi, à Strasbourg. Il m’a dit: «Vous vous souvenez de moi? Vous nous aviez transportés jusqu’à Karlsruhe.» Donc qui je prendrais? C’est selon le moment et l’instinct. Je n’ai jamais eu de mauvaises expériences.

Et qui surtout pas?

Cela dépend du physique et des bagages de la personne. Parfois, les couples que je prenais en avaient une tonne…

Kommentieren Sie den Artikel

Bitte geben Sie Ihren Kommentar ein!
Bitte geben Sie hier Ihren Namen ein

Diese Website verwendet Akismet, um Spam zu reduzieren. Erfahre mehr darüber, wie deine Kommentardaten verarbeitet werden.