«Je roule comme un papy»

Ancien pilote de Formule 1, René Arnoux vit entre la Suisse et l’Italie, sans ­compter de fréquents séjours à Paris. Il est donc souvent au volant. Il déplore le manque de liberté sur les routes et les limitations de vitesse trop strictes. Rencontre chez lui, à Pully.

Ce jeudi après-midi du mois de février, le temps n’est pas à la fête. Il fait gris et une pluie capricieuse vient brouiller la magnifique vue sur le lac Léman et les Alpes. Le rendez-vous a été fixé au domicile vaudois de René Arnoux pour 14h. Nous voici arrivés devant un petit immeuble, dans un quartier chic – un pléonasme – des hauts de Pully. Des sonnettes à l’entrée et un nom de famille: Arnoux. On sonne, personne ne répond. On tente le portable. Au bout du fil, une voix joyeuse explique. «J’arrive! J’ai été déjeuner avec un ami, il me ramène.» Le voici enfin, jovial et sympathique. La session photo devant sa voiture a lieu sous la pluie? Pas grave! Le Français plaisante et rigole. Il est temps de passer à l’interview. 

L’ex-pilote de Formule 1 – il a couru pour Renault, Ferrari et Ligier – avertit: «Je suis célibataire. Chez moi, c’est le bordel!» Lampes de designers italiens, parquet en bois foncé et longue table couverte de paperasse: l’univers de René Arnoux est à son image, plein de vie. «Je travaille encore comme consultant. Je m’occupe de la partie horlogerie du groupe Kif Parechoc SA, installé notamment à la Vallée de Joux, au Sentier. Je ne peux pas m’arrêter de travailler.» 

Ni de conduire d’ailleurs, puisque l’ex-pilote automobile partage son temps entre Pully et sa propriété de Desenzano del Garda, au nord de l’Italie. Autant dire qu’il avale pas mal de kilomètres par année, soit quelque 50 000 depuis que le Covid-19 sévit, comme il prend moins l’avion et le train. Au fait, un ex-pilote sur le réseau routier, ça donne quoi? «Je suis devenu le pire des crétins. Je roule comme un papy, vu le nombre de radars.» René Arnoux explique qu’il a toutes les options, surtout le régulateur de vitesse. «Je l’enclenche toujours, sinon je suis cuit. Je mets 10% de plus, parce que ça passe s’il y a un contrôle de vitesse. Sans cette option, j’ai le pied droit qui part au fond.» 

L’ancien pilote de Formule 1 aime toujours l’automobile, «mais pas ce qu’on en a fait. La voiture est devenue encore davantage une vache à lait: l’essence, les assurances, les autoroutes en France ou en Italie, tout coûte très cher.» Il l’avoue qu’actuellement, il n’a plus de plaisir à être sur la route à cause du manque de liberté et des limitations de vitesse. «Je trouve que la vitesse est une façon d’accaparer l’attention. Si vous roulez comme un zombie, vous ne serez pas attentif. A 110 km/h, on peut facilement prendre son portable dans la main, tandis qu’à 180 km/h…» 

Sensations sur circuit

Aujourd’hui, son but est donc d’aller d’un point A à un point B en s’ennuyant le moins possible. «Je rêve d’une voiture qui m’amènerait à bon port, avec un truc qui me taperait sur la tête pour me réveiller et m’annoncer: ‹René, tu es arrivé!›»

Heureusement, le pilote qui a participé à 162 courses en onze ans de carrière roule encore sur circuit, six fois par an. Avec toujours les mêmes sensations et les mêmes émotions. «J’ai fait des choses extraordinaires sur les circuits, et j’en fais encore. La conduite de voitures puissantes est toujours excitante et le plaisir de les conduire toujours le même. Il n’y a pas d’accoutumance.» Il emmène notamment des clients qui viennent d’acquérir une Ferrari faire des tours sur le circuit de Monza, à 330 km/heure. «Je leur donne également des cours, mais chez certains, cela ne veut pas entrer dans la tête…»  Il est également régulièrement sollicité par des clubs de passionnés de Ferrari, pour des repas ou des conférences. «En Italie, lorsque vous avez été pilote Ferrari, c’est à vie». Lorsque René Arnoux évoque la marque au cheval cabré, son regard brille, lui qui a fait partie de la Scuderia Ferrari durant trois ans. «J’ai bien connu Enzo Ferrari. Il avait une réputation d’homme dur, sévère et froid. Moi, j’ai connu quelqu’un d’agréable, de sympathique et de chaleureux. Je l’ai beaucoup apprécié. Il a dédié sa vie au sport automobile, il était sans arrêt dans son usine.» Les deux hommes parlaient de tout: d’amour, de politique, de la vie, d’idées pour développer les voitures. «Dino, son chauffeur, venait me chercher sur le circuit et me disait: ‹Monsieur Ferrari aurait plaisir à manger avec vous.› Je lui répondais: ‹Le plaisir est pour moi, donc je serai au rendez-vous.›» Aujourd’hui, il assure ne pas être déçu de s’être fait limoger par Ferrari, suite à un accident de ski durant l’entre-saison et une opération. «Dans un certain sens, j’étais même content. Avoir peu de résultats avec l’avalanche de moyens qu’on avait… J’étais resté en très bons termes avec Enzo Ferrari.»

Le Français évoque encore son père, un comptable passionné de courses automobiles, qui se rendait sur les circuits, chaque fois qu’il le pouvait. «Il n’est jamais intervenu. Il se mettait dans un coin et, après, on parlait tous les deux. Il commentait. Il avait tous les droits. J’étais le fils, il était le père.» Et la peur, a-t-elle fait partie de sa vie de pilote de Formule 1? «Non. Même avec un seul pourcent de peur, on ne peut pas courir. C’est un handicap. Même l’accident de Gilles Villeneuve, mon meilleur ami (lire le questionnaire de Prost ci-dessous), ne m’a jamais arrêté. On ne pense pas que ça peut nous arriver, et puis, on a confiance en toute l’équipe.» 

Aujourd’hui, lorsqu’il jette un coup d’œil dans le rétroviseur, René Arnoux constate: «Je n’ai jamais fait les choses par obligation, je les ai toujours faites par passion. J’ai d’ailleurs un slogan lorsque je me lève le matin: ‹Si moi je me plains, tout le monde a le droit de se plaindre…›»

«Gilles Villeneuve était mon meilleur ami»

identité Proust avait son questionnaire. La Revue Automobile a le sien.

Revue Automobile: Prost, pour vous, c’est qui? 

René Arnoux: Je perds mon temps seulement quand je le veux. Je n’ai rien de positif à dire sur lui.

Votre première fois en voiture?

Sur les genoux de mon papa, lorsque j’avais 7 ans, dans une Simca 8.

Votre première voiture?

Une Alfa Romeo Giulietta Sprint. Lorsque je l’ai achetée, elle n’était pas dans un bel état. J’avais 20 ans et je travaillais dans un garage qui préparait les voitures pour les rallyes. Je ne comptais pas mes heures. J’ai demandé aux patrons: «Après le travail, est-ce que je peux restaurer ma voiture?» Ils m’ont filé un petit coin et je me suis mis au travail. J’ai tout démonté et tout refait. Un copain m’a fait la carrosserie, parce que je ne m’y connaissais pas. Ça m’a pris un an et demi. Un jour, à la pause de midi, j’ai mis un peu d’essence dans le réservoir et j’ai roulé. Quel plaisir! Il était double, parce que j’avais tout fait moi-même. Après, j’ai eu de belles voitures, mais je n’ai jamais ressenti cette sensation de bonheur-là.

Aujourd’hui, vous roulez en?

Mazda CX-5. La marque me prête des autos. En échange, j’allais au Salon de l’auto et je réponds présent lorsqu’ils ont besoin de moi. Je ne connaissais pas cette marque. Cette voiture marche bien: elle ne tombe jamais en panne et consomme peu.

Votre voiture de rêve?

Une Ferrari, s’il n’y avait pas de limitations de vitesse sur les routes. Mais en tant qu’ancien pilote, si c’est pour rouler à 130 km à l’heure, très peu pour moi! J’ai pu faire tellement de choses extraordinaires sur les circuits, je n’ai pas besoin de ça. En plus, si je me fais doubler à 130 km/h au volant d’une Ferrari, je serais le roi des cons. Je préfère une voiture confortable.

Le plus fameux de vos périples en voiture?

Un jour, j’étais en Italie, à Pescara, chez un copain. Ferrari m’appelle et me demande d’aller signer une partie de mon contrat à Lausanne. Le copain me dit: «Prends ma Ferrari 512 BB à carburateurs, tu iras plus vite.» Je pars, j’arrive à Lausanne, on discute, je signe, on mange et, le lendemain, je reprends la route et je passe par le Saint-Bernard. Il y avait très peu de trafic, je roulais… vite (ndlr: il demande de ne pas mentionner sa vitesse). A un moment donné, je dépasse les flics. Le péage était à 3 km. Le temps d’y arriver, de préparer ma monnaie, j’étais sûr que les flics n’y arriveraient pas avec leur Alfa. Mais ils avaient averti des collègues qui m’ont fait signe de me garer. Dans la BB, on est assis par terre. J’ai baissé ma glace, ils se sont penchés ensemble. Le premier m’a dit: «Ma Lei si prende per Lauda?» L’autre a dit à son collègue: «Ma non vedi que questo è René Arnoux!» On a éclaté de rire. Les deux autres sont arrivés dans leur Alfa, elle fumait. Ils ont voulu que je leur montre la voiture, le moteur, où on met les bagages. Je leur ai encore dédicacé des photos. Ils m’ont demandé un dernier truc: faire patiner les roues. J’ai refusé. L’embrayage est sensible. Il aurait risqué de casser.

Un cauchemar en voiture?

La mort de Gilles Villeneuve lors d’une course automobile. J’étais trente mètres derrière lui. Il a voulu dépasser Mass, ils se sont accrochés, les ceintures ont lâché, il a été éjecté et il est tombé sur la tête. Il est mort sur le coup. C’était mon meilleur ami.

Au volant de votre voiture, vous vous sentez…

Assez en sécurité. Les voitures ont des airbags, subissent des crash tests.

Vivre sans voiture?

Je pense que l’être humain peut s’adapter à tout. Mais moi, vivre sans voiture, je ne pourrais pas. Je prendrais même la plus petite des merdouilles!

Le 30 km/h dans toutes les villes suisses, une bonne idée?

Non! A cette vitesse, on est presque à l’arrêt. Hier soir, je suis sorti de l’autoroute à Vennes. Jusque chez moi, à Pully, j’ai eu l’impression de faire Paris-Lyon. Et, entre 30 et 50 km/h, il n’y a pas une grande différence de bruit.

Les voitures sans conducteur: bonheur ou frustration?

Un bonheur! Je pourrais dormir sur la banquette arrière et écrire mes e-mails.

Qui prendriez-vous à coup sûr en auto-stop?

A Paris où je me rends souvent et où je vais au marché, il m’arrivait de ramener des dames âgées qui tiraient péniblement leur chariot. Aujourd’hui, on a atteint un tel degré de peur que, lorsque je demande à une personne si elle veut de l’aide, elle se sauve. Ça m’est arrivé dans le quartier…

Et qui surtout pas?

Les politiques. S’ils faisaient du stop, ils seraient toujours derniers, avec un jour de retard!

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