«On règlera les problèmes par la technologie, pas par la politique»

Après huit ans à la tête d’Auto-Suisse, François Launaz cède la place à Albert Rösti. Nous revenons avec cet ingénieur de formation sur son bilan à la faîtière et nous regardons vers l’avenir.

Le passage de témoin a bien eu lieu. Lors de son assemblée générale, qui s’est déroulée mardi 17 mai, les membres d’Auto-Suisse, la faîtière des importateurs suisses d’automobile, ont élu Albert Rösti comme leur nouveau président. Le Zurichois succède ainsi à François Launaz à la tête de l’association, après un «règne» qui a duré huit ans. La nomination d’Albert Rösti – conseiller national et ancien président de l’Union démocratique du centre (UDC) – n’a rien d’anodin: Auto-Suisse veut davantage se politiser, un signe d’un durcissement des positions. Nous avons échangé avec François Launaz sur ce changement de posture et avons fait avec lui un bilan de ses deux mandats chez Auto-Suisse.

Revue Automobile: Quel bilan tirez-vous de vos huit ans à la tête d’Auto-Suisse?

François Launaz: Pour moi, ce fut une belle façon de terminer ma carrière dans la branche automobile. C’est une opportunité qui est arrivée au bon moment: j’avais envie de faire autre chose après avoir passé ma carrière chez un importateur. La surprise, c’est qu’il s’agit, en réalité, d’un poste politique plutôt qu’un poste fait pour un ingénieur, comme moi. Je me suis vite mis dans le bain et mon expérience dans la branche m’a donné un bon bagage pour le faire. La défense de la mobilité individuelle est un élément clé pour le bien-être de la population et pour la bonne marche l’économie. A mon sens, la politique dérape en ce moment et tente de tuer la mobilité individuelle. Il y a encore beaucoup à faire.

Qu’est-ce qui va vous manquer de vos fonctions?

Ce que j’ai beaucoup aimé durant toute ma carrière, c’est la rencontre avec les gens. Je pense que l’un de mes succès à la tête d’Auto-Suisse a été de réunir les différentes associations œuvrant autour de la voiture. Auparavant, elles avaient plutôt tendance à se faire concurrence; elles sont désormais des partenaires.

Y compris la VFAS, l’association des importateurs parallèles?

La VFAS n’est pas un partenaire, c’est un concurrent. C’est une faîtière assez opportuniste dans le marché automobile. Toutefois, le marché est libre et l’importation des voitures depuis l’étranger est relativement facile en vertu des lois qui existent. L’importance de la VFAS reste cependant relative, ils surestiment leur pouvoir et veulent le beurre et l’argent du beurre. Ils ne me gênent pas, mais nous n’avons pas de relation particulière avec eux.

Qu’est-ce que vous n’allez pas regretter de vos fonctions?

Je ne vais pas regretter les agendas remplis. Maintenant, j’aurai plus de temps pour m’occuper de ma famille. J’aurai plus de liberté et je suis arrivé à un âge où je vais pouvoir profiter de la vie un peu différemment. Je ne vais pas non plus regretter les frustrations permanentes en provenance du monde de la politique, qui dépeignent l’automobile comme le diable. Ils oublient beaucoup tout ce que l’automobile a apporté à l’économie. 

Qu’est-ce qui vous a poussé à ne pas vous représenter pour un nouveau mandat?

J’ai 67 ans, c’est le moment de céder la place. Mon successeur, Albert Rösti, a dix ans de moins que moi, c’est le bon âge. Il faut savoir s’arrêter, aussi pour profiter des années qu’il me reste. Je garde toutefois un pied dans le monde automobile en tant que président d’Auto Recycling et continue à être celui d’Auto-i-dat et de Sestorec. 

Quel est, selon vous, le plus gros succès de votre mandat?

L’initiative «Vache à lait» a été un succès, même si elle a été rejetée fortement par le peuple. Nous avons démontré que nous pouvions lancer une initiative. L’acceptation du deuxième tube du Gothard et du fonds routier Forta ont aussi été des moments positifs pour Auto-Suisse. Le rejet de la loi sur le CO2, qui était très pénalisante, était aussi une victoire. La nouvelle mouture du texte devrait être plus équilibrée, car elle promouvra les technologies plutôt que de pénaliser les utilisateurs. 

Auto-Suisse siège au comité du Salon de Genève. On sait que la manifestation vit des heures critiques, une annulation en 2023 signifierait la fin. Qu’est-ce qui peut encore sauver la manifestation?

J’ai un avis très personnel sur la question: nous aurions dû nous mettre d’accord avec les autres Salons européens et mettre officiellement en place une alternance entre les différentes manifestations. Cela aurait réduit les risques d’annulation. Cela dit, le nouveau concept du Geneva International Motor Show (GIMS) plaît aux marques, nous prendrons prochainement une décision définitive sur la tenue du GIMS en 2023.

Mieux vaut-il un petit Salon, ou pas de Salon du tout?

Pas de Salon du tout signifierait la mort de l’événement. Il vaut mieux réduire la surface de la manifestation et proposer un événement plus attractif, peut-être sur 50 000 m2, des halles 1 à 5. Il faut, bien sûr, que les marques viennent.

Est-ce qu’Auto-Suisse s’est sentie lâchée par le PLR, qui a fait un virage «vert», sous la présidence de Petra Gössi?

Nous avons toujours eu de bons contacts avec le parti. Toutefois, le PLR s’est divisé autour de la question écologique, leur virage «vert» a été mal négocié. Par exemple, la motion de Damian Müller, qui a demandé la fin des statuts spéciaux pour les constructeurs de niche, n’apporte strictement rien.  Elle a davantage pénalisé des petites marques comme Subaru et Suzuki que les firmes sportives, qui continuent à vendre beaucoup dans notre pays. Ce sont des chicaneries regrettables. L’UDC est le seul qui nous a toujours soutenu. Ce n’est, de toute façon, pas par la politique que l’on va régler les problèmes, c’est par la technologie. La politique devrait laisser plus de place à la responsabilité des constructeurs, qui développeront la technologie à bon escient. La technologie doit décider, pas la politique.

On tue l’innovation en imposant l’électromobilité comme unique moyen d’arriver à la neutralité carbone.

Absolument. On entend parler au Parlement de l’abolition des moteurs à combustion, mais, dans le même temps, Madame Sommaruga veut utiliser des génératrices à diesel pour les hôpitaux, en cas de besoin. Il faut savoir ce qu’on veut, veut-on vraiment interdire les moteurs à combustion, ou pas? On risque, de plus, d’écarter des technologies du futur, comme les carburants synthétiques. Interdire n’est pas la bonne solution.

L’Office fédéral de l’énergie (Ofen) a mis sur pied une campagne pour la promotion des voitures électriques. Qu’est-ce que cette initiative vous inspire?

Ce n’est pas le rôle de l’Ofen de faire la promotion de certaines technologies et d’encourager l’achat de voitures électriques. Si l’on suit la feuille de route sur l’électromobilité, nous sommes très en avance sur le plan, les voitures «rechargeables» ont largement dépassé leurs objectifs. Nous avons accepté d’atteindre désormais 50% de voitures rechargeables en 2025, nous dépasserons certainement cet objectif! Pourquoi l’Ofen arrive avec cette promotion, alors que les importateurs sont saturés de commandes de voitures électriques? Il aurait mieux valu investir l’argent de la campagne dans l’installation de nouvelles bornes de recharge ou dans la sécurité de l’approvisionnement. Nous risquons d’être en manque d’électricité. Ce sont cinq millions de francs jetés par la fenêtre. 

Albert Rösti, votre successeur, a un profil très politisé. Qu’est-ce que cela changera-t-il pour Auto-Suisse?

Toutes les autres associations «partenaires», comme l’ASTAG ou l’UPSA, ont un conseiller national à leur tête. Avec Albert Rösti, nous aurons un triumvirat au Conseil national pour défendre la mobilité. Cela nous permet d’être à la source des problèmes, des idées et de déposer, peut-être, plus facilement des motions, des questions et d’être plus actifs politiquement. Naturellement, il n’amène pas les connaissances automobiles que j’ai pu apporter, mais il vient avec un savoir-faire politique. Bien qu’il ait été à la tête d’un parti, Albert Rösti est un homme d’alliances, car il sait qu’un parti seul ne peut plus gagner. Cela va peut-être aussi changer le profil du directeur d’Auto-Suisse: faut-il quelqu’un de la branche, ou quelqu’un qui soit un assistant du président?

Le fait que le nouveau président d’Auto-Suisse soit issu de la droite dure ne risque-t-il pas de murer les positions?

Cela dépendra de l’attitude d’Albert Rösti, mais ce risque existe effectivement. Il est assez intelligent pour différencier les positions de chacun. J’espère que nous ne vivrons pas ce que l’Union suisse des arts et métiers (USAM) a connu, qui avait un président UDC et un directeur PLR qui se tiraient dessus par presse interposée. Nous n’avons pas choisi Albert Rösti pour son passé de président de parti, nous avons choisi un conseiller national, capable de créer des alliances. 

Faut-il aussi comprendre cette nomination comme le signe d’un durcissement des positions et des tons autour de la voiture?

Bien sûr. On ne parle que de mobilité collective ou douce. C’est très bien si les cyclistes sont heureux sur la route, mais il faut que les automobilistes le soient aussi. Cependant, tout le discours politique ne tourne qu’autour des cyclistes, ce n’est pas la bonne solution. Certains veulent interdire l’accès en ville même aux voitures qui ne polluent pas, c’est complètement fou. Il faut de la place pour tous les moyens de transports, l’automobile restera un moyen de se déplacer important ces prochaines années.

La voiture électrique se développe de plus en plus. Va-t-on vers un climat d’apaisement politique, sera-t-elle davantage acceptée à gauche, par exemple?

J’ai de gros doutes. Les Verts ne veulent pas la mobilité propre, ils veulent la décroissance. Pour cette raison, à chaque fois que nous arrivons avec des avancées, ils remettent de nouvelles exigences sur la table.

Que vous inspire la décision européenne d’arrêter les ventes de voitures à moteur thermique en 2035?

D’un côté, l’UE fait ce genre d’annonces, de l’autre, elle investit des milliards dans les carburants synthétiques. Où est la logique? Il n’est, de toute façon, pas nécessaire d’interdire certains types de technologie, l’automobile aurait certainement, d’elle-même, embrassé la voiture électrique, c’est le seul moyen d’atteindre très rapidement la neutralité carbone. Il y aura une forte pression morale autour de la voiture à moteur thermique, ce sera très mal vu de circuler à bord d’une voiture qui pétarade et émet de la fumée. Les automobilistes vont d’eux-mêmes passer à la voiture électrique. 

Est-ce que l’arrêt des voitures thermiques est inéluctable, ou cela peut encore changer d’ici 2035?

Cela peut encore changer, mais il y a de fortes chances que cela aille dans ce sens. La pression sur l’industrie automobile, pour basculer vers l’électromobilité, est toujours très forte, je ne pense pas qu’elle va diminuer. En soi, je n’ai rien contre la voiture électrique, il faut que la mobilité soit propre. Toutefois, la pression passera ensuite du côté des producteurs d’électricité, car elle doit aussi être propre, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Nous achetons de l’électricité sale et ne faisons rien pour changer cela, il y a des contradictions politiques gigantesques. Il semblerait qu’il n’y a pas de volonté politique pour changer la situation.

Qu’avez-vous envie de dire à votre successeur?

J’espère qu’il se dira, au terme de sa période à Auto-Suisse, qu’il a eu beaucoup de plaisir à y être, comme cela a été mon cas.

Biographie

François Launaz a occupé le rôle de président d’Auto-Suisse depuis 2014. Il a mené des études d’ingénieur et d’économie dans une HES de Suisse occidentale. Avant de rejoindre Auto-Suisse, le Valaisan a transité par Mercedes-Benz et Honda Suisse. Il travaillera pour le constructeur japonais pendant 25 ans, où il occupera le poste de vice-président. 

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