L’inégalité de traitement entre les voitures thermiques et électriques en matière de financement des routes ou l’éternel débat sur le road pricing (tarification de la mobilité) sont quelques-uns des nombreux et épineux problèmes concernant le trafic routier. De plus, l’argent des automobilistes finance massivement la mobilité douce, des pénuries d’énergie menacent et la voiture est constamment attaquée. Jürg Röthlisberger, le chef de l’Office fédéral des routes (Ofrou), exprime sa vision sur la façon de résoudre ces problèmes.
Revue Automobile: Le trafic routier motorisé privé représente environ 75% des prestations de transport annuelles. Pourtant, la voiture est depuis longtemps sous un feu nourri politiquement. Comment expliquer cette divergence?
Jürg Röthlisberger: C’est surtout dû aux aspects environnementaux, qui préoccupent toujours plus. Jusqu’à présent, les voitures étaient associées au bruit, au CO2 et aux particules fines. Mais les constructeurs s’efforcent d’éliminer ces effets secondaires négatifs et d’entrer dans une nouvelle ère. Les reproches devraient alors disparaître.
Cela signifierait que cette pression disparaîtra?
Je ne suis pas prophète, mais les arguments contre l’auto sont clairement en recul. Dans ce contexte, il est important de ne pas penser de façon dogmatique en matière de mobilité, mais de manière objective. Quand on pense ainsi, on est ouvert aux arguments. Il faut considérer les différents modes de transport en fonction de leurs atouts et non selon des concepts ou des idées politiques. La numérisation et l’automatisation joueront aussi un grand rôle.
Le thème des contributions liées au trafic d’agglomération fait l’objet d’une consultation. Il y est prévu que la mobilité douce bénéficie d’un soutien massif. Les cyclistes ne devraient-ils pas payer une taxe pour utiliser les pistes cyclables?
C’est une question hautement politique. C’est en tout cas envisageable, mais en fin de compte, c’est au parlement d’en décider.
Venons-en aux derniers projets du Conseil fédéral. Il veut maintenir telle quelle la taxe sur les voitures thermiques et prélever une nouvelle taxe sur les voitures électriques. Celle-ci se composerait d’un montant fixe par kilomètre parcouru défini selon la catégorie du véhicule. Qu’est-ce que cela signifie concrètement?
Aujourd’hui, les voitures à propulsion alternative ne paient pas de taxe pour l’utilisation de l’infrastructure. C’est un dilemme entre promotion et équité. Cette question se pose toujours lorsqu’on veut aller dans une certaine voie, c’est-à-dire se passer des énergies fossiles d’ici 2050, et c’est ce que nous voulons. Mais nous avons la mission d’entretenir et d’améliorer les infrastructures routières, et cela doit être financé. Actuellement, les financements sont essentiellement assurés par les droits de douane sur les carburants. Avec le temps, ceux-ci tendront vers zéro. Un montant fixe ne signifie pas que c’est du «road pricing», mais un substitut à l’impôt que les automobilistes paient aujourd’hui. Cette différence est importante pour nous.
Y aura-t-il des différences entre les voitures économiques et celles qui le sont moins?
Oui, mais permettez-moi de revenir un peu en arrière pour mieux comprendre. Nous avons essayé d’intégrer dans ce projet la philosophie et le sens de la justice d’aujourd’hui. En 2017, le peuple a accepté en votation le FIF (Fonds d’infrastructure ferroviaire), le Forta (Fonds pour les routes nationales et le trafic d’agglomération) et le financement spécial pour la circulation routière. Nous ne voulons rien changer à l’architecture financière approuvée: les parties et les flux restent les mêmes entre caisse fédérale, cantons, communes et Forta. Le flux en provenance du «monde des énergies fossiles» reste totalement inchangé, mais cette manne se tarit. C’est pourquoi nous avons besoin de nouvelles sources pour remplacer les sources actuelles.
Vous n’avez pas répondu à la question quant aux différences entre grandes et petites autos.
Aujourd’hui, pour 100 km, une petite voiture comme la Renault Clio coûte en général moins en taxes sur le carburant qu’une grande voiture car son poids et sa résistance à l’air sont plus faibles et que la puissance de son moteur est moins élevée. Pour une question d’équité, une Renault Zoe paiera donc moins de taxes fixes qu’une Tesla: le poids du véhicule et la puissance du moteur sont pris en compte.
Y aurait-il eu d’autres variantes?
Nous avons maintenant proposé une taxe fixe uniquement pour les véhicules à propulsion alternative, mais oui, nous avons notamment examiné une taxe kilométrique fixe pour toutes les voitures. Avec pour conséquence la suppression des droits de douane sur les carburants. Ainsi, un litre de carburant aurait été massivement moins cher ici que dans les pays limitrophes.
Pourquoi ne pas taxer l’électricité comme on le fait pour les carburants?
Parce que le plein de carburant ne peut se faire que dans des stations-service, taxer est donc simple. En revanche, avec une voiture électrique, on peut recharger à la maison, au bureau ou à une borne de recharge rapide en route. Il faudrait donc installer un compteur sur chaque prise de courant ou équiper les véhicules de compteurs, puis envoyer une facture par la suite. Nous ne pensons pas que cela soit judicieux. Par ailleurs, il n’y aura pas que des véhicules électriques, mais aussi des autos fonctionnant aux carburants synthétiques et avec une pile à combustible. C’est là que les choses se compliquent. On ne peut pas calculer un droit spécifique pour les différentes formes de propulsion. La taxe kilométrique est la solution la plus simple et la plus transparente.
Comment les hybrides rechargeables seront-ils imposés? La taxe actuelle s’appliquera au moteur thermique et la taxe kilométrique frappera le moteur électrique?
C’est tout le défi que nous pose la variante choisie actuellement. Nous disposons déjà de chiffres relativement fiables nous permettant de savoir en moyenne combien de kilomètres parcourt un hybride plug-in à l’électricité et combien avec le moteur thermique. De plus, il reste encore environ 8 ans jusqu’à l’introduction de la taxe kilométrique et nous disposerons alors de chiffres encore meilleurs. D’autre part, nous considérons la technologie hybride dans le domaine des voitures particulières plutôt comme une technologie de transition.
Les hybrides plug-in paieront donc deux taxes?
Oui, les hybrides rechargeables paieront les droits de douane sur les carburants, puis encore une taxe par kilomètre parcouru à l’aide du moteur électrique. Toutefois, celle-ci sera réduite, de sorte à payer en moyenne une valeur assez juste.
La taxe kilométrique devrait entrer en vigueur d’ici 2030. Cela signifie-t-il que jusque là, les électriques ne paieront aucune autre taxe que la vignette et l’impôt sur les véhicules?
Pour faire court: oui.
N’y a-t-il pas là une inégalité de traitement entre les électriques et les thermiques?
Oui, c’est toujours le cas. Entre promotion et équité, il y a toujours une pesée des intérêts. Le Conseil fédéral a d’ailleurs choisi l’année 2030 pour deux raisons: la démocratie directe ne permet pas d’aller plus vite et c’est le moment où nous aurons des problèmes de liquidités avec le fonds Forta. Bien sûr, on peut dire que le conducteur fortuné d’une Tesla s’en tirera à bon compte d’ici là, mais ce n’est pas la majorité des automobilistes. La plupart des utilisateurs d’autos électriques rouleront avec de petits véhicules et le commerce d’occasions électriques n’en est qu’à ses débuts. Il faut savoir que même une simple taxe sur les voitures électriques, comme un forfait, devrait d’abord passer le cap d’une votation populaire. D’ici à ce que cela soit mis en place, cela prendra du temps. Dans l’intervalle, nous avons suffisamment de liquidités pour assurer l’entretien, l’aménagement et l’extension des routes si nécessaire. Et c’est dans l’intérêt des automobilistes.
Comment la redevance sera-t-elle calculée et comment s’effectuera le paiement?
La question reste ouverte quant aux détails. Pour la saisie des données, nous proposons plusieurs variantes. En fait, nous devons seulement savoir combien de kilomètres a parcouru l’automobiliste en Suisse pendant une période donnée, mais nous ne devons pas connaître les trajets à l’intérieur du pays. C’est la différence avec le «road pricing», pour lequel il faut savoir où le véhicule est utilisé. La variante proposée doit être conforme à la loi sur la protection des données et il est probable qu’elle se résume à l’installation dans le véhicule d’un petit appareil de saisie des données qui soit inviolable. Pour le paiement, soit on recevra une facture mensuelle, soit on pourra aller transmettre ses données dans un endroit précis, comme au TCS ou au Service des automobiles. La difficulté réside dans le fait que nous devons définir aujourd’hui les règles d’un système qui entrera en vigueur dans environ huit ans. Or, dans l’intervalle, le développement technologique progresse à un rythme effréné. Nous devons donc trouver une solution aussi simple et efficace que possible.
Et les étrangers qui viennent en Suisse?
Les étrangers qui passent leurs vacances en Suisse devront également se munir d’un appareil de saisie, tandis que les étrangers qui transitent par la Suisse devront s’acquitter d’un forfait.
N’y a-t-il pas un risque que les taxes aient une influence sur la mobilité?
Ce n’est justement pas le but; il n’y a pas de «road pricing». Celui-ci veut intervenir sur le comportement de conduite, avec des prix en fonction de l’heure ou du jour de la semaine. En revanche, la taxe kilométrique ne sert que de financement et prévoit donc des tarifs fixes.
L’État mise sur l’électromobilité et veut également s’éloigner de l’énergie nucléaire et des carburants fossiles. Dans le même temps, le Conseil fédéral évoque la menace d’une pénurie d’électricité. Comment réussir ce grand écart?
Si nous voulons atteindre les objectifs de la stratégie énergétique 2050, nous devons, en effet, relever un énorme défi. Nous devrions avant tout agir plutôt que de nous critiquer les uns les autres. Si nous agissons maintenant, nous pourrons mieux gérer le réseau d’électricité. Prenons un exemple: aujourd’hui, nous consommons 6 millions de tonnes de carburant, ce qui représente grosso modo 60 térawattheures (TWh) d’énergie. La mobilité électrique est au moins trois fois plus efficace. Nous n’aurions donc pas besoin de 60 TWh, mais seulement de 20 TWh d’électricité. C’est là que réside l’avantage de l’électromobilité. Si nous voulons une transition énergétique, nous devons nous assurer que nous consommons le plus efficacement possible. Nous aurions la même mobilité qu’aujourd’hui avec au maximum un tiers de la dépense énergétique. C’est pourquoi je lance un appel: agissons maintenant!
Le scénario d’un contingentement de l’électricité est également évoqué. Qu’est-ce que cela signifierait pour les voitures électriques?
Nous sommes en train de réfléchir à cette question. On pourrait imaginer qu’il y ait une restriction temporelle, dans le sens où le chargement ne serait pas possible dans un certain périmètre à certaines heures. Cependant, le Conseil fédéral met tout en œuvre pour que cela ne se produise pas.
Biographie
Jürg Röthlisberger est directeur de l’Office fédéral des routes (Ofrou) depuis 2015. Cet ingénieur civil travaille pour l’Ofrou depuis 1997, d’abord comme responsable régional pour la Suisse orientale, puis comme vice-directeur de la division Infrastructure routière. En 2012, il est devenu directeur adjoint de l’Ofrou. Il est marié et père de deux enfants adultes.