«Nous souhaitons désespérément gagner Le Mans»

Directeur du projet LMDh chez Porsche Motorsport, le Suisse Urs Kuratle rêve de victoire mancelle au début du mois de juin prochain. Il détaille le fonctionnement de son écurie, inscrite non seulement en WEC mais aussi en IMSA.

Pour Porsche, comme pour de nombreux autres constructeurs, la catégorie Hypercar est une aubaine dans la mesure où les convergences de réglementations entre l’IMSA et la FIA lui ont permis développer une voiture commune; la Porsche 963 est capable de concourir des deux côtés de l’Atlantique. Reste que le défi à relever est de taille, la concurrence étant pour le moins rude. Pour mener à bien son projet, Porsche a fait appel à un Suisse, Urs Kuratle. Il faut dire que l’homme est bien placé pour gérer les deux écuries inscrites en WEC (où elle court en LMDh) et en IMSA (inscrite en GTP), lui qui connaît très bien l’endurance pour y avoir déjà participé à plusieurs reprises (lire biographie).

REVUE AUTOMOBILE: Après vos différentes participations en endurance avec Sauber-Mercedes en 1989 puis avec Porsche en 2014, c’est un retour aux sources que vous opérerez cette année?

Urs Kuratle: Absolument! Et un retour aux sources rafraîchissant, je dois dire. Les courses d’endurance ne sont peut-être pas aussi spectaculaires que celles de Formule 1 mais elles sont géniales. Elles sont un très bon type de sport automobile.

Quels sont vos objectifs pour la saison 2023?

Nous voulons gagner. Notre objectif est de remporter certaines courses. Plus il y en a, mieux c’est. Nous ne sommes pas là pour nous amuser, ça, c’est une certitude. Lorsque Porsche concourt dans une discipline, son objectif est d’être aussi performant que possible.

La Porsche 963 est non seulement inscrite en WEC (championnat du Monde d’Endurance) mais aussi en IMSA américain. Quel est le championnat le plus difficile?

J’y ai souvent réfléchi et je pense qu’ils sont tout simplement différents, surtout dans leur manière d’aborder les courses.

Pouvez-vous expliquer comment fonctionne la collaboration entre les différentes écuries et Porsche Motorsport?

Nous fonctionnons en triangle: Porsche Motorsport est à Weissach en Allemagne, l’écurie concourant en WEC est à Mannheim et celle en IMSA à Moresville, en Caroline du Nord, aux USA. Les deux équipes sont quasi identiques du point de vue organisationnel et structurel. Elles sont capables de mener l’ensemble de leurs opérations de manière totalement indépendante. Elles disposent de tout le personnel, de tous les ingénieurs nécessaires pour fonctionner pleinement. Les deux équipes possèdent chacune deux voitures, en plus d’un véhicule d’essai. Les voitures et les pièces sont fabriquées à Weissach, il n’y a aucune fabrication ni à Mannheim, ni à Moresville. Pour autant que je sache, une telle organisation est une première dans le sport automobile. Je ne pense pas qu’un autre constructeur ait déjà opéré de la sorte. Il est évident qu’il y a beaucoup d’interaction entre les trois équipes. Par exemple, si une équipe rencontre un problème, les actions pour le résoudre sont mises en place des deux côtés de l’Atlantique. C’est un véritable défi que d’orchestrer l’ensemble, de gérer l’ensemble, mais je dois dire que cela fonctionne plutôt bien.

Êtes-vous satisfait de vos résultats jusqu’à présent?

Non, nous ne le sommes pas. Nous avons disputé trois courses, deux en IMSA et une en WEC (ndlr: l’interview a été réalisée avant les manches de Portimão et Long Beach). En IMSA, nous avons rencontré des problèmes techniques et puis nous avons été victime d’un carambolage lors de la seconde course. En WEC, nous n’avons disputé qu’une seule course, qui n’a pas non plus été couronnée de succès. Cette écurie en WEC a moins d’expérience en matière de travail en équipe car elle est nouvelle. Nous venons à peine de terminer le processus de recrutement. Nous avons donc un énorme défi à relever, d’autant plus qu’il existe en WEC une très forte concurrence de la part des LMH, comme Toyota et Ferrari (ndlr: depuis l’interview, une 963 a terminé à la troisième place à Portimão en WEC et une autre a remporté la course de Long Beach en IMSA!).

Justement, pourquoi avoir choisi en WEC, de concourir en LMDh, où certains composants sont standardisés plutôt qu’en LMH, qui laisse une plus grand liberté technologique?

Le LMH permet effectivement de développer davantage de composants mais en fin de compte, il est très difficile pour les constructeurs inscrits en LMH d’en tirer des avantages en matière de performances, celles-ci étant régulées et contrôlées en sortie de moteur par un capteur. Et chaque constructeur se doit de respecter cette valeur. La dépense supplémentaire induite par le développement des pièces en interne nous semblait, et nous semble toujours, donc inutile. Le plus important pour nous était que la balance entre les dépenses et le gain en matière de performance soit équilibré.

A propos des dépenses, quel est le coût de développement de la 963 et plus généralement le coût d’une saison en hypercar?

Vous comprendrez que nous préférons ne pas parler de chiffres. Ce que je peux vous dire en revanche, c’est que tout devient plus cher en sport automobile. Néanmoins, grâce à la standardisation que permet le LMDh, nous dépensons moins que les écuries concourant en LMH. Mais combien exactement, ça, personne ne le sait vraiment.

Il n’y aura bien sûr qu’une seule possibilité de remporter le centenaire des 24 heures du Mans. A quel point aimeriez-vous remporter cet événement si unique?

Nous aimerions vraiment gagner, mais nous savons aussi que nous ne sommes pas les seuls à vouloir le faire. C’est vrai ce que vous dites, il n’y aura qu’une seule occasion de remporter une course si unique. Pour nous, pour Porsche, qui célèbre aussi son 75e anniversaire, c’est une course très importante. Et oui, il est évident que nous souhaitons désespérément gagner Le Mans. Il est évident que nous disputons chaque course avec l’espoir de la gagner mais Le Mans est vraiment très spécial. Ce centenaire s’annonce grandiose. L’édition de l’année prochaine s’annonce elle aussi géniale puisqu’il y aura encore plus de constructeurs qui participeront à la course.

Vous êtes la seule équipe à proposer votre voiture aux équipes clients que sont Hertz, GDC Miller Motorsport et Proton Competition. Quels sont les avantages de tels partenariats?

Les programmes clients sont une tradition chez Porsche; historiquement, Porsche a toujours vendu ses voitures à des clients privés. Cela procure certains avantages: une voiture supplémentaire est synonyme d’opportunité supplémentaire pour acquérir de l’expérience. Evidemment, ces partenariats sont aussi contraignants: les voitures doivent être terminées avant d’être remises aux clients. Dans la mesure où ils dépensent énormément d’argent pour rouler avec une 963, ils veulent un produit fonctionnel. C’est pour Porsche Motorsport un énorme défi parce que la voiture, qui se situe quelque part entre une LMP2 et une LMP1, est toujours un prototype du point de vue technologique. Pour l’instant, nous sommes le seul constructeur à proposer un tel service mais nous savons que d’autres constructeurs envisagent de se lancer eux aussi dans des programmes clients.

Fournissez-vous uniquement la voiture, ou également la main-d’œuvre nécessaire à sa gestion?

Tout d’abord, nous fournissons la voiture, en plus de certains équipements obligatoires, en plus des pièces de rechange. Porsche Motorsport fournit également un programme d’assistance à la clientèle, de sorte que si les clients ont un problème, ils ont quelqu’un à qui s’adresser pour obtenir de l’aide. Enfin, ils auront aussi l’opportunité d’acheter des pièces directement sur les circuits. C’est un aspect passionnant de mon métier car il s’agit d’évaluer à l’avance la quantité de matériel que nous allons devoir emporter sur telle ou telle course. Cela fonctionne de la même manière dans les autres séries, à ceci près que les pièces de la 963 sont plus chères. Le stock des clients est donc moins important en général.

Je pense que vous avez rencontré quelques difficultés pour leur livrer les voitures à temps. Pouvez-vous expliquer ce qu’il s’est passé?

Il était très ambitieux de proposer des voitures de clients dès la première année d’exploitation. D’habitude, il se passe au moins un an avant que les voitures ne soient proposées aux clients. Avec le programme LMDH, nous avons une approche différente. Nous voulons le faire dès la première année.  Mais nous leur avons aussi dit que leur voiture ne serait pas livrée avant avril. Nous n’avons pas aimé devoir agir ainsi mais nous y avons été contraints. Cela n’aurait vraiment pas été possible de livrer plus tôt.

Porsche gagne pas mal d’argent avec ses différents programmes GT3, pour lesquels elle vend des 911. Pensez-vous que le modèle commercial du LMDh puisse être rentable?

La LMDh est beaucoup plus chère que les 911 inscrites dans les différentes catégories GT. Cela dit, pour les clients, il est probable qu’ils puissent revendre leur 963 après quelques années d’utilisation aussi chère qu’ils l’ont achetée, d’autant plus si la voiture parvient à remporter de grands trophées comme les 24 Heures du Mans. Si nous avons décidé de revenir en endurance, c’est parce que nous sommes convaincus d’être à l’aube d’un renouveau de la course automobile, dans lequel nous pourrions revivre ce qu’il s’est passé dans les années 1980 et 1990 avec les 956 et 962, où les équipes de clients se battaient contre les voitures d’usine, et  parfois avec succès.

Cela n’a rien à voir avec l’endurance mais en tant qu’ancien employé de Sauber, que pensez-vous de l’arrivée d’Audi en Formule 1 et à Hinwil?

C’est une question intéressante. Que ce soit Audi ou n’importe quel autre constructeur, lorsqu’un grand nom rachète une écurie, c’est toujours une bonne chose car elle apporte avec elle de la sécurité. Je pense que c’est une très bonne chose pour Sauber, que j’aimerais voir sur le devant de la grille. Je suis heureux pour les gens qui y sont! 

Porsche gère un double engagement, l’un en WEC (2 voitures de g.) et l’autre en IMSA (2 véhicules de dr.). Kuratle est au milieu, à côté de Roger Penske.

Des bolides soignés aux petits oignons

De par son nom, la Porsche 963 se pose en successeure de la 962, victorieuse dans les années 1980. Assez éloignée esthétiquement des produits de série, elle présente toutefois des phares à 4 diodes et un bandeau lumineux arrière qui rappelle ceux de la 911. Au contraire des LMH, les LMDh doivent être basées sur un châssis LMP2 fournis par l’un des quatre équipementiers (Multimatic, Oreca, Dallara et Ligier): «Nous avons choisi Multimatic car nous avons étudié toutes les offres et avons retenu le package qui nous semblait le plus alléchant. Nous avons également une histoire avec Multimatic, nous avons travaillé ensemble en LMP1 à plusieurs reprises», explique Urs Kuratle. Il faut aussi ajouter que l’équipementier fournit des composants pour la Porsche 911 RSR, GT3 R et GT3 Cup. Si la réglementation LMDh précise que les composants hybrides et la boîte de vitesses Xtrack doivent être standardisés et économiques, elle laisse une grande marge de manœuvre dans le choix du moteur à combustion. C’est sur le moteur d’une voiture de série que Porsche Motorsport a jeté son dévolu puisqu’il s’agit ni plus ni moins du V8 de 4,6 litres de la 918 Spyder! Avec toutefois un «léger» changement: le bloc respire désormais via deux turbos et non plus à l’air libre. Ces turbos, assemblés par le Néerlandais Van der Lee, augmentent la pression de seulement 0,3 bar, et ce afin de ne pas rendre le moteur trop performant. A noter qu’ils sont montés dans les 90° d’ouverture du V. La machine électrique, qui prend position entre le moteur et la boîte de vitesses, est fournie par Bosch. Williams Advanced Engineering s’occupe de la batterie lithium-ions haute tension de 1,35 kWh. La puissance de sortie de ce groupe motopropulseur est plafonnée à 500 kW (680 ch) avec un poids minimum fixé à 180 kg. Le poids de l’ensemble, lui, ne peut pas être inférieur à 1030 kg. Les freins sont de type brake-by-wire. A noter que la 963 est un véhicule à roues arrière motrices, au contraire des LMH qui sont des 4×4.

Biographie

Urs Kuratle Né le 8 octobre 1968, originaire des Grisons. Fort d’un apprentissage de mécanicien, Urs Kuratle (54 ans) entre chez Sauber Motorsport au début de l’année 1989, à l’âge de 20 ans. «Cette année-là, j’ai participé avec Sauber pour la première fois au Mans», se remémore-t-il. C’était l’époque des Sauber-Mercedes C9 et C11, victorieuses. En 1993, Sauber intègre la Formule 1, une discipline qu’il connaît forcément très bien aujourd’hui puisqu’il a accompagné l’écurie helvétique pendant près de 20 ans: «Et puis, il y a 10 ans, c’était le 1er mars 2013, j’ai commencé à travailler chez Porsche ici à Weissach. J’étais responsable de l’ensemble des opérations du programme LMP1. Après avoir occupé différents postes depuis l’arrêt de l’écurie allemande en 2017, je suis aujourd’hui responsable de l’ensemble des opérations LMDh, y compris la gestion des équipes de clients», détaille celui qui occupe aujourd’hui le poste de directeur de projet.

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