Interview: Dave Schneider
A la suite d’une profonde réorganisation et l’arrivée de nouveaux bailleurs de fonds, Aston Martin peut repartir sur des bases saines. La firme britannique vise la rentabilité et la modernité, sans rien sacrifier de la grande tradition de la maison.
REVUE AUTOMOBILE: Vous êtes à la tête d’Aston Martin depuis plus d’un an. Qu’avez-vous déjà pu réaliser au cours de cette période?
Tobias Moers: A mes débuts chez Aston Martin, il n’y avait plus d’étincelle dans le département de design. Sans motivation ni énergie, il ne s’y passait plus grand-chose. On ressentait la fibre pour la tradition et l’héritage, mais c’était à peu près tout.
Vous aviez donc du pain sur la planche…
(Rires) Effectivement, et nous avons abattu beaucoup de travail. Le défi le plus passionnant a été de stabiliser l’ingénierie et le développement. C’était d’autant plus difficile que plusieurs personnes avaient été licenciées pour maintenir l’entreprise à flot. L’autre grand problème touchait la production de voitures, à la fois trop lourde et trop coûteuse. Aujourd’hui, nous sommes plus réactifs, plus flexibles. Nous pouvons dorénavant construire des voitures en fonction des besoins. Il est primordial – c’est d’ailleurs l’objectif de la marque – de faire renaître le désir pour le produit, le désir pour la marque. Tout est désormais mis en œuvre pour cela.
Avec la rentabilité comme but ultime…
Absolument. Pour maintenir l’activité et renouveler la gamme, nous avons besoin d’une marge EBIT de 20% (ndlr: «earnings before interest and taxes» ou bénéfice avant intérêts et impôts). Si vous produisez 8000 à 12 000 voitures, il est vital de dégager une telle marge.
Le contexte actuel devient toujours plus tendu pour les constructeurs de voitures de sport. A quoi ressemblera Aston Martin dans dix ans?
Nous devrons passer à la propulsion électrique. C’est dans la logique des choses. Je suis sans doute parmi les derniers détracteurs des voitures électriques. Mais quand elle sera électrique, notre marque sera plus influente que jamais. Nous avons une place légitime dans le segment de l’ultra-luxe; il est primordial que nos voitures aient un positionnement exceptionnel à l’avenir. Nous devons être compétitifs avec chaque produit que nous lançons sur le marché, et je crois connaître la méthode.
Qu’est-ce que cela implique concrètement?
Une Aston Martin électrique doit arriver sur le marché en 2026. Les voitures de sport existantes seront toutes hybrides. Nous travaillons d’ailleurs sur un DBX hybride, puisque nous disposons de la technologie nécessaire grâce à Mercedes-Benz, notre partenaire technologique.
A propos de partenaires technologiques, est-il envisageable qu’Aston Martin reprenne non seulement un moteur, mais construise également un modèle sur une plateforme Mercedes?
On ne peut pas l’exclure, mais je ne le pense pas. Cela n’aurait pas beaucoup de sens. Notamment parce qu’Aston Martin est vraiment très compétente en matière d’assemblage. Quand j’étais chez AMG, j’ai toujours pensé que nous étions efficaces dans ce domaine, mais Aston Martin m’a impressionné. A mon avis, il est donc plus logique de reprendre des composantes électriques, comme la batterie, le moteur ou l’architecture haute tension en les combinant avec notre propre entraînement sur l’essieu avant, dans une carrosserie réalisée par nos soins. Bien sûr, nous pourrions envisager une Aston construite par Mercedes, mais je ne sais pas ce que cela coûterait.
Certains éléments de l’habitacle, comme le système d’infodivertissement, sont repris de Mercedes.
Selon moi, il est important que nous n’utilisions plus le système d’infodivertissement ni l’interface utilisateur de Mercedes. Nous suivons dès maintenant une autre approche. Nous pourrions toujours utiliser la vision nocturne, mais nous avons décidé de ne plus le faire.
La Rapide a été construite par Magna à Graz pendant un certain temps. La fabrication en sous-traitance est-elle encore d’actualité?
Non. Nous avons désormais consolidé toutes les installations de production. Je n’aurais jamais pensé qu’un petit constructeur puisse avoir autant de sites de production. Par exemple, un hall de 7000 m2 a été édifié dans une ville voisine pour construire la Valkyrie. Mais nous n’utiliserons jamais ce site. Tous les modèles sortent maintenant d’une seule et unique ligne de production, celle de Gaydon.
Aston Martin emploie en grande majorité de la main d’œuvre masculine. Souhaitez-vous promouvoir l’engagement de femmes?
Cette situation est particulière à toutes les marques sportives. Mais elle est amenée à évoluer, notamment avec l’expansion en Chine. En Europe, la proportion de femmes dans l’industrie automobile est estimée à 10%, alors qu’elle approche les 20% en Chine. Le DBX joue également un rôle important dans ce changement.
Envisagez-vous de développer un SUV plus compact, sur la plateforme du DBX?
Non. La plateforme du DBX pourrait effectivement offrir les prérequis nécessaires. Mais je ne pense pas qu’il soit judicieux de nous engager sur un segment qui pousse trop à la comparaison avec les constructeurs premium à gros volume. A vrai dire, nous ne renouvellerions pas l’expérience des quatre-portes, si nous devions refaire ce choix aujourd’hui. Notre marque n’a pas à être comparée avec des modèles tels que la Panamera ou l’AMG GT 4. Nous pourrions agrandir le DBX, ou au contraire réduire sa taille, mais nous aurions en tête quelque chose de radicalement différent d’une Porsche Macan. Nous pouvons aussi imaginer un DBX très sportif, car il en a l’étoffe. Quelque chose de vraiment très dynamique, qui exploiterait toutes les ressources du groupe motopropulseur. Mais c’est encore de la musique d’avenir… (rires)
Quelle est l’importance de la Suisse pour vous?
La Suisse a beaucoup d’importance. Nous y réalisons de bons résultats avec tous nos modèles. Et ce marché a encore beaucoup de potentiel.